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Quand nous brûlions des hommes pour des subtilités théologiques, nous étions fort loin assurément de cette indifférence raisonnable pour les choses transcendantes qui est, aux yeux d’un disciple de Confucius, la condition essentielle du bonheur ; mais il faut prendre les races dans l’ensemble de leur histoire. La Chine, par suite de cet optimisme obstiné, meurt non pas de vieillesse, mais d’une enfance indéfiniment prolongée. Les nations occidentales, qui ont eu la fièvre ardente de l’absolu et du droit, l’inquisition, le tribunal révolutionnaire, la terreur, sont jeunes, maîtresses du monde. Capables de beaucoup aimer et de beaucoup haïr, elles doivent à leurs excès mêmes d’avoir dans leur passé quelque chose à détester et dans l’avenir un idéal à poursuivre. Les mots de foi et d’espérance ont pour elles un sens : ce sont des races dogmatiques, habituées à préférer mille choses à la vie, possédées d’une confiance invincible en ce qu’elles croient la vérité.

Ce que les politiques superficiels du siècle dernier et du commencement de celui-ci admiraient le plus dans les institutions de la Chine, c’était l’écart prudent où la législation avait eu soin de tenir les questions religieuses. Une sorte d’académie des sciences morales réglant une fois pour toutes les relations de l’homme avec l’infini, un pouvoir central étendant une prudente prohibition sur tout ce qui pouvait monter les têtes et amener des discussions, une religion de cérémonies et d’innocentes parades, leur parurent le chef-d’œuvre d’une administration sage. Dans la persuasion plus ou moins avouée que le but de la vie est de jouir, on regardait comme des trouble-fêtes ceux qui rappelaient les problèmes d’un ordre supérieur. Luther, et Calvin étaient des hommes dangereux, qui avaient fait verser beaucoup de sang. Peu s’en fallut qu’on ne reprochât à Pilate d’avoir agi avec trop de faiblesse, et aux commissaires de la police romaine de n’avoir pas exercé une surveillance assez active sur les catacombes. Toute propagande fut un délit. Un des articles organiques du concordat portait que les prédicateurs ne devaient se permettre dans leurs instructions aucune inculpation directe ou indirecte contre les autres cultes autorisés par l’état.

Des réactions vives, et en apparence opposées, ont prouvé que cette tendance étroite de quelques esprits n’était nullement celle de l’Europe, et que l’Occident ne se résignera jamais, pour vivre en paix, à n’avoir plus de motif de vivre. La lutte changera mille fois de face, les partis abandonneront, il faut l’espérer, les armes déloyales dont ils se sont trop souvent servis ; mais la guerre ne finira pas. Quelles sont les formes que revêtira l’éternel discord dont Dieu même a semé les germes dans l’humanité ? Si les religions ont un avenir, quel est cet avenir ? Comment limiter sans l’éteindre le foyer