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cependant de surveiller son goût et de faire un meilleur choix dans la joaillerie de ses ornemens. Nous lui conseillons par exemple de mettre de côté ces enfilades de notes staccate et pointillées qu’elle affectionne, et qui sont aussi désagréables à l’oreille que blessantes pour le sens commun, car le sens commun, qui est la logique en puissance, se glisse partout, jusque dans les caprices et dans les arabesques de la fantaisie. Barbara, le contralto, fera également un bon emploi de son temps en surveillant sa prononciation, qui est molle et vicieuse : elle rapproche ses lèvres et fait une sorte de petite moue d’où il ne s’échappe trop souvent qu’une syllabe sourde et sans vie. Nous lui conseillons de s’exercer à mieux articuler, à pincer fortement le mot, pour pouvoir le lancer au loin comme un trait sonore. Malgré ces imperfections, la Sémiramis de Rossini, interprétée par deux cantatrices aussi distinguées que les Marchisio et par M. Obin, qui chante et joue le rôle d’Assur d’une manière remarquable, n’en forme pas moins un spectacle digne de l’Opéra et de la capitale du monde civilisé.

Mme  Vandenheuvel, la digne fille de M. Duprez, après quelques années de pérégrinations sur les premiers théâtres de province, a été engagée à l’Opéra pour remplacer Mlle  Dussy, cantatrice distinguée, au style placide et souriant, qui a préféré le bonheur domestique au bruit de la renommée. Mme  Vandenheuvel s’est produite dans le rôle de la princesse de Robert le Diable, et elle n’a pas eu de peine à montrer au public qu’elle est une cantatrice de haute lignée, sachant prendre sa place partout où elle se trouve. On peut être plus richement douée par la nature que ne l’a été Mme  Vandenheuvel, posséder une voix plus fraîche et plus puissante ; mais il est difficile de chanter avec plus de goût, de correction et d’élégance que cette noble artiste.

Mlle  Marie Sax, qui n’a point été bercée sur les genoux d’Apollon, car elle est sortie toute vivante d’un café chantant, a quitté le Théâtre-Lyrique, où elle a été accueillie d’abord, pour venir à l’Opéra, où sa belle et forte voix de soprano s’est essayée dans le rôle d’Alice de Robert. Mlle  Marie Sax est presque l’opposé de Mme  Vandenheuvel ; elle a de la voix, mais tout lui manque du côté de l’éducation, et elle ne peut guère prétendre encore qu’à passer pour une élève qui promet de devenir une cantatrice utile. À ce titre, l’administration de l’Opéra a eu raison d’engager Mlle  Sax.

Un ténor qui jouit en province d’une certaine réputation, M. Wicart, a donné ce printemps quelques représentations à l’Opéra. Il a chanté le rôle d’Arnold de Guillaume Tell avec talent, surtout le duo avec Mathilde et l’incomparable trio du second acte. La voix un peu gutturale de M. Wicart est un ténor élevé, dont il se sert avec adresse. Il passe sans brusquerie de la voix de poitrine à la voix mixte, d’où il saisit les sons super-laryngiens avec vigueur et sans trop d’efforts. À tout prendre, M. Wicart est un chanteur qui n’est pas dépourvu de mérite.

Le théâtre de l’Opéra-Comique, où semble régner depuis quelques mois une activité intelligente, a changé de direction. M. Roqueplan a fait place à M. Beaumont, qui a déjà donné des preuves de bon vouloir. Il était grand temps que ce théâtre chéri de la bourgeoisie française qui aime la musique, mais non à l’excès, et toujours tempérée par un dialogue vif et pressant, reçût une impulsion favorable. M. Roger y a donné quelques représentations