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qu’il attache à l’alliance de la France, car Victor-Emmanuel viendra placer ses troupes sur la frontière napolitaine, et préviendra le conflit dont Garibaldi nous a menacés. Il faut qu’on ait un singulier sentiment de l’honneur de la France pour que de pareilles apologies aient pu se présenter naïvement et entrer dans la circulation.

Si nous n’étions pas à Rome, nous pourrions en effet, suivant le cours de nos opinions à l’endroit de la papauté et selon nos idées en matière de moralité politique, assister en spectateurs plus ou moins désintéressés et amusés à la lutte engagée entre M. de Cavour et Garibaldi ; mais outre qu’il y a autre chose encore en politique que des bons tours et des coups heureux, un intérêt prime pour nous l’intérêt que peut présenter la lutte de M. de Cavour et du général Garibaldi, et cet intérêt résulte de notre présence à Rome. Partout où elle se trouve, la France est tout entière avec sa pensée, sa volonté et son action. Étant à Rome, nous y pensons quelque chose, nous y voulons quelque chose, nous y faisons quelque chose. Ce que la France doit penser, vouloir et faire à Rome, voilà une préoccupation qui l’emporte apparemment sur la question de savoir quels peuvent être les mobiles et les intentions de Garibaldi ou de M. de Cavour. Pensons-nous que le temps du pouvoir temporel est passé ? Nous n’avons pas besoin de M. de Cavour pour le dire. Croyons-nous que le pouvoir temporel est indispensable au gouvernement du catholicisme ? Pourquoi subordonnerions-nous un intérêt de cette importance aux tactiques de M. de Cavour, et nous donnerions-nous l’apparence d’avoir une opinion contraire, en assistant à la spoliation des états de l’église opérée sous nos yeux et au nez de nos soldats ? Quittons Rome ou restons-y, et dans l’une ou l’autre conduite soyons conséquens avec nous-mêmes ; mais venir nous dire que la conduite de M. de Cavour est justifiée à nos yeux par le prix qu’il attache à notre alliance et par le soin qu’il prend d’empêcher que Garibaldi ne nous attaque dans Rome, c’est outrager autant le bon sens que l’honneur de la France. Étrange allié qui exploite contre nous les conséquences de la fausse position où nous sommes, et qui voudrait faire croire à notre connivence, puisqu’il compte sur notre inertie ! Quant à la prétention de nous mettre à couvert d’une attaque de Garibaldi, elle est trop plaisante. Nous voit-on, nous qui protégeons le pape, protégés nous-mêmes à notre tour par l’armée piémontaise, qui conquiert les états du pape ! On irait loin avec ces bizarres ricochets de protection, car apparemment Garibaldi se figure qu’il protège à sa façon le roi Victor-Emmanuel, et M. Mazzini doit se flatter de protéger Garibaldi.

La durée d’une situation aussi fausse révolterait le sen3 commun et la probité politique ; il faut que la France en sorte, et elle ne peut en sortir que par la netteté des déclarations et la décision des actes. L’on a dit que le pape, c’est bien naturel, avait adressé à notre gouvernement des questions pressantes sur le sens du concours que nous lui donnons à Rome. Il semblait, dit-on, redouter que la France ne fît une distinction entre sa personne