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de poursuivre en France même la carrière des armes. Il fit, avec l’esprit et l’élan d’un vrai soldat français, les campagnes autrichiennes de 1848 et 1849, et s’y conduisit avec tant d’éclat que le maréchal Radetzky et le prince de Windischgraetz l’attachèrent successivement à leurs états-majors. Il quitta l’armée où il s’était illustré lorsqu’il fut arrivé au grade de lieutenant-colonel, au-dessus duquel il n’aurait pu s’élever sans renoncer à sa nationalité. Après avoir fait le sacrifice de sa carrière une première fois aux opinions héréditaires de sa famille, une seconde fois au sentiment du patriotisme, il vient, dans la plénitude de la jeunesse et au milieu de la félicité domestique la plus attachante, de faire le sacrifice de sa vie à une conviction désintéressée. Triste rapprochement : cette révolution italienne, qui fait tant de bruit et improvise des gloires si faciles, n’a jusqu’à présent, et dans des camps contraires, coûté la vie qu’à deux hommes marquans ; pourquoi faut-il que ces deux victimes de la révolution italienne soient des Français, M. de Flotte et M. de Pimodan ? Cette révolution n’est-elle donc qu’un épisode de nos guerres civiles ? On le dirait, à voir l’inique partialité qui s’est déclarée contre le général Lamoricière dans certains journaux qui usurpent en ce moment la représentation des anciennes et généreuses opinions politiques de la France. On fait métier dans ces journaux de sacrifier au premier caporal piémontais venu une réputation si chère à l’élite de notre armée. Que doivent sentir devant un si honteux spectacle ceux qui, au terrible assaut de Constantine, où il conduisit la première colonne d’attaque, le virent disparaître dans l’explosion de la mine ? Un grand soldat de notre temps, un homme qui est allé chercher la mort en Crimée, un nom cher aussi à notre armée, Aynard de La Tour du Pin, a raconté ici même cette glorieuse journée dans un des plus beaux récits de guerre que nous ayons lus, et qu’il est consolant de relire encore. Que doivent penser ceux qui commandèrent avec lui, ceux qui servirent sous lui à la bataille d’Isly ? Qu’éprouvent enfin ceux qui n’ont pas oublié que, dans nos horribles combats de Paris en juin 1848, — le seul jour où, si la société, comme on l’a tant dit plus tard, a jamais eu besoin d’être sauvée, elle l’a été réellement, — ce jour-là l’homme qui, au milieu de tant de généraux mortellement frappés, a conduit, avec le général Cavaignac, la défense de la société est le général Lamoricière ? Mais l’opinion vraie d’un pays, celle qui compte et avec laquelle il faut compter, celle qui est la véritable et permanente conscience d’une nation, n’oublie pas les honnêtes services, les gloires pures, les nobles fraternités d’armes, cette sorte de parenté qui unit les enfans d’une même patrie, et qu’on ressent dans toutes les fibres de son cœur à la vue d’un concitoyen illustre qui s’est exposé avec abnégation et par devoir aux insultes de la fortune.

Nous plaignons le Piémont d’avoir cherché lui-même l’occasion de réveiller et de blesser en France de tels sentimens. Nous nous plaignons nous-mêmes de l’épreuve à laquelle, en envahissant les états de l’église, le Piémont soumet l’honneur de la politique française. En vérité, les hommes d’état