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qu’on ait lu sans une méprisante indignation les outrages qu’un chef piémontais envoyait à cette poignée de braves gens qu’il allait accabler ? Dans cette armée française, qui a payé l’année dernière l’agrandissement du Piémont du sang de soixante mille de ses soldats, cette conduite, ces procédés, ce langage ont, nous en savons quelque chose, fait passer un frisson de colère contenue. Avec les conditions qui étaient faites à la défense du pape, il n’y a dans le combat de Castelfidardo et dans la reddition d’Ancône rien qui puisse entamer la réputation militaire du général Lamoricière et des Français qui le secondaient. Le général n’avait jamais dû s’attendre à être attaqué par l’armée du Piémont. On a la mémoire si courte et l’on réfléchit si peu en ce temps-ci, qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler l’objet et le caractère de la mission que le général Lamoricière avait acceptée. Un des reproches les plus graves que l’on fit au gouvernement pontifical était de ne pouvoir se soutenir par ses propres forces, d’emprunter pour sa défense les troupes de puissances étrangères, et de mettre ainsi la main de l’étranger, la main de l’Autriche et de la France, dans les affaires de l’Italie. C’était une situation fausse pour la papauté, dont au fond elle compromettait l’indépendance politique, fausse surtout pour les puissances qui prêtaient leurs troupes au pape, et auxquelles leur intervention dans les États-Romains suscitait d’inextricables embarras. Il n’y a donc que justice à dire que l’expérience que le général Lamoricière s’était chargé de tenter n’avait d’autre objet que de faire cesser, pour la France aussi bien que pour le pape et pour l’Italie elle-même, les difficultés de cette fausse situation. La force qu’il s’agissait d’organiser dans les états pontificaux ne pouvait, en aucun cas, être agressive : elle devait simplement suffire à la protection de l’ordre intérieur et opposer tout au plus une barrière à quelque irruption désordonnée de corps francs, car il est bien évident que le pape ne saurait faire la guerre à des puissances militaires, à des gouvernemens réguliers, et personne ne supposait qu’à l’époque où nous vivons, il existât, même en Italie, une puissance qui pût être tentée par la gloire de faire la guerre au pape.

Voilà la tentative qui fut essayée au commencement de cette année. Que l’on en conteste ou l’opportunité ou la valeur pratique, que l’on dise que la cour de Rome avait trop tardé, qu’elle ne pouvait parvenir, dans un temps si troublé, à réunir des élémens suffisans pour sa défense indépendante : l’événement donne beau jeu aux sceptiques, et rend la controverse inutile. Ce que l’on ne contestera point, c’est que l’entreprise était honnête, et que des catholiques français et libéraux ont pu s’y associer sans méconnaître les devoirs du patriotisme, et même avec l’espoir qu’ils allaient fournir à la papauté politique les moyens d’accomplir les réformes qui lui étaient de toutes parts demandées. En effet, si l’entreprise eût réussi, si une petite armée pontificale eût pu se former, la France eût rappelé sa garnison de Rome, et se fût trouvée affranchie des responsabilités et des difficultés que l’occupation de Rome lui impose. D’ailleurs la création d’une armée romaine