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tranger, prohibé même à l’occasion. Les droits acquittés dans une colonie ne nationalisent pas le produit étranger, ni même celui d’une autre colonie française : ils doivent payer de nouveau les taxes communes pour entrer en France. En un mot, toute colonie est un pays étranger pour la mère-patrie, sauf quelques exceptions : singulière et dure façon, ce semble, de comprendre la maternité politique !

La doctrine change pour les importations. Alors les colonies ne sont plus des pays étrangers qui auraient droit de régler à leur gré leurs relations et leurs tarifs de commerce ; loin de là, elles constituent un marché national réservé aux produits nationaux. Elles sont la joie et la fortune de l’industrie métropolitaine, qui leur expédie ce qu’elle veut, comme elle veut et au prix qu’elle veut, car elle n’a pas à redouter de concurrence étrangère. Dans les temps passés, la rigueur du principe allait jusqu’à imposer aux colonies les horreurs de la disette, et quand les gouverneurs, après les guerres, après les ouragans, sous le coup d’une famine imminente, ouvraient la porte aux approvisionnemens étrangers, de sévères admonitions des ministres ne manquaient pas de les rappeler à leur devoir. L’humanité a fini par triompher de ces impitoyables rigueurs, qui remplissent de protestations, de révoltes, de contrebande, de trafics suspects l’histoire des Antilles : un certain nombre de produits, les plus nécessaires à l’existence, y sont désormais admis, les uns en franchise, les autres avec des taxes diverses ; mais ces adoucissemens sur des articles secondaires laissent subsister au profit de la France, sur la masse des importations, une surcharge qui s’élève souvent à 30 pour 100, et grève d’autant le prix de revient. Ce n’est que dans le cours de l’année 1860 qu’une loi a fait admettre librement les grains, les farines et les riz exotiques.

Le privilège de la navigation compose la troisième condition du pacte colonial. La France se réserve tout l’intercourse avec ses colonies, et même celui des colonies entre elles. Après le fameux acte de navigation de l’Angleterre, cette mesure était peut-être légitime et utile ; mais le but serait dépassé, si l’on étendait ce principe même à la navigation avec l’étranger, suivant le vœu des ports de mer. L’élévation du fret, la rareté des navires constatent combien pèse sur les colonies un joug qu’elles portent néanmoins sans murmure dans l’intérêt de la marine nationale. N’a-t-on pas vu, il y a quelques mois, le ministre de l’Algérie et des colonies insister auprès de la chambre de commerce de Nantes pour l’envoi de navires à la Guadeloupe, qui levait sa récolte devant une rade dégarnie ?

Comme complément de toutes ces restrictions, la métropole a entravé autant qu’elle a pu le développement industriel de ses colonies, en vue de leur fournir tous les articles manufacturés dont