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s’étaient émus de la diminution des phosphates, exportés avec les produits des moissons. L’illustre Davy avait attribué à cette fâcheuse influence la stérilité de plusieurs contrées de l’Asie-Mineure, de l’Afrique méridionale et de la Sicile, que leur antique fécondité avait fait considérer comme les greniers de Rome au temps de sa splendeur. De plus, suivant des pratiques traditionnelles, dans quelques cantons de l’Auvergne comme dans un grand nombre de comtés en Angleterre, on faisait usage d’os concassés dans des moulins spéciaux pour compléter la fumure des terres à blé. Bientôt les habiles agriculteurs du nord de la Grande-Bretagne employèrent ainsi tous les os que pouvaient leur fournir les étaux des boucheries anglaises ; puis ils cherchèrent les moyens de s’en procurer des quantités plus grandes en faisant recueillir tous les os des diverses origines que l’on pouvait rencontrer, y compris ceux des baleines et d’autres animaux marins. De nombreuses cargaisons de ce genre furent expédiées de plusieurs ports de la Mer du Nord ; le prix élevé qu’on en offrit excita le zèle des ramasseurs d’os à tel point qu’on a prétendu que des champs de bataille célèbres n’étaient pas demeurés à l’abri des atteintes de la spéculation. En même temps on avait trouvé en France un engrais riche en phosphates et en matières azotées, mélange de charbon, d’os et de sang de bœuf coagulé, constituant un volumineux résidu des raffineries et des fabriques de sucre, et bientôt les champs de la Loire-Inférieure et du Loiret présentèrent les magnifiques résultats que nous avons indiqués ici même en décrivant les perfectionnemens introduits dans les sucreries indigènes et les distilleries[1]. En Angleterre, on mélange les os broyés et humides avec un tiers de leur poids d’acide sulfurique. Après avoir laissé réagir cette masse de six à vingt-quatre heures, on ajoute un volume égal de résidus des raffineries qui saturent l’excès d’acide, et cette sorte d’engrais composé, riche en phosphates assimilables et en matière nutritive azotée, se vend environ 25 francs les 100 kilos. Au dire de tous les agriculteurs anglais, aucun des engrais connus ne s’est montré aussi favorable à la végétation des turneps et à la production de leurs racines tuberculeuses.

Toutes ces données appelaient l’attention des savans, des agriculteurs et des économistes sur les moyens de ramener à la superficie du sol les phosphates enfouis à diverses époques dans ses couches stratifiées[2]. On devait espérer que ces composés fixes et très peu

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1857.
  2. Il est une cause de la déperdition actuelle des phosphates alimentaires dont il ne paraît pas possible d’éviter les résultats, si ce n’est après de nouveaux bouleversemens, présumables peut-être dans un très long avenir, mais qui ne sauraient en tout cas intéresser notre génération. Cette inévitable déperdition, mise en évidence par M. Élie de Beaumont, repose en effet sur le respect des sépultures : un homme de moyenne stature, dont le squelette desséché pèse 4k, 6, contient dans ses os 2k, 44 de phosphate de chaux, et dans sa substance organique molle 0k, 84, en totalité 3k, 28. En réduisant, à cause des femmes et des enfans, cette quantité à 2 kilos, on aura la moyenne de ce que représente un individu dans l’ensemble de la population. Si donc on évalue à un milliard le nombre d’individus qui ont vécu sur le territoire de la France depuis les Celtes jusqu’à nous, on trouve qu’ils ont emporté en mourant 2 milliards de kilos de phosphates, retirés ainsi de la nutrition végétale et animale.