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d’éviter l’épuisement du sol, qui s’était déjà déclaré dans plusieurs régions autrefois célèbres pour leur fécondité.

On a fait à ces applications nouvelles quelques objections qui manquent réellement de poids. Dans plusieurs contrées, dit-on, de temps immémorial on cultive la terre sans engrais ; ici l’emploi exclusif d’un seul amendement à faibles doses, la chaux par exemple, permet de doubler les récoltes ; ailleurs encore la production se soutient à l’aide de fumures légères. Il est vrai que certains sols privilégiés, où abondent les substances minérales utiles, riches d’ailleurs en matières organiques, — résidus de végétaux et d’animaux qui s’y sont accumulés pendant des siècles, — semblent pouvoir indéfiniment subvenir à la nutrition des plantes ; mais ce sont là de rares exceptions. De pareils terrains se rencontrent dans notre Limagne d’Auvergne et dans la vaste étendue des terres noires de la Russie ; toutefois il serait encore possible d’accroître la production sur ces fonds exceptionnellement fertiles, si à la couche arable l’on ajoutait des matériaux facilement assimilables qui favoriseraient une végétation plus rapide. Ce sont précisément ces substances, le mieux appropriées à l’alimentation des végétaux, que ceux-ci puisent de préférence dans le sol ; par conséquent chaque récolte en enlève la plus grande partie à la terre, et sans retour, toutes les fois que les produits bruts, tiges, feuilles, graines ou fruits, sont consommés hors du domaine. Il n’est d’ailleurs que trop facile de démontrer par des faits irrécusables la haute influence des engrais sur le rendement plus élevé et plus économique de la production agricole, même dans les meilleurs terrains. Qui ne sait que, dans les terres si fertiles de nos régions du nord, où existent de puissantes couches végétales ayant jusqu’à trois mètres d’épaisseur et formées en grande partie d’alluvions et de débris organiques reposant sur des masses calcaires, les cultivateurs expérimentés trouvent cependant leur compte à répandre d’abondantes fumures, que pour se les procurer ils allaient naguère jusque dans l’Artois acheter à l’année la colombine (fiente des pigeons de colombier), et la ramenaient chez eux avec des frais considérables de transport, qu’ils savent enfin mieux utiliser que partout ailleurs les engrais des villes ? C’est dans ces mêmes contrées qu’on a vu se développer l’alliance si féconde entre les fermes et les fabriques, alliance qui réalise la transformation des récoltes brutes en produits manufacturés transportables à de grandes distances, qui laisse à la disposition du cultivateur divers résidus appliqués à la nourriture des plantes, soit directement, soit après avoir servi d’alimens bien appropriés à l’élevage et à l’engraissement des animaux ou encore à la production du lait. Ainsi ont été augmentés du même coup la fécondité du sol et le revenu net des exploitations rurales.