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voir prendre en considération, et qui peut le faire mieux qu’une conférence des grandes puissances ? N’est-ce pas elle seule qui serait capable de résoudre les difficultés que soulève cette entreprise ? Resterons-nous longtemps encore dans la situation actuelle, qui nous présente le spectacle peu digne d’une grande puissance comme l’Angleterre empêchant de faire ce qu’à tort ou à raison la plus grande partie du commerce de l’Europe regarde comme un travail d’utilité universelle, en forçant la Porte, qui n’est pas elle-même moins favorable que les autres au projet, à laisser dire sans protester qu’elle le considère comme contraire à ses intérêts ? C’est une comédie qui n’a rien d’honorable pour personne, mais on ne voit de moyen de la faire cesser que par une réunion des conseils de l’Europe.

Il y aurait peut-être mieux encore à faire et à espérer. Si, comme on aime à le croire, les protestations d’amour, pour la paix et de dévouement aux intérêts généraux que nous font entendre les gouvernemens de l’Europe ont quelque réalité, il y a des choses auxquelles ils pourraient se prêter au grand avantage de tous et que leur concours seul permettrait d’accomplir. Telle serait par exemple la construction d’un chemin de fer de Belgrade à Bassora, lequel, à mon gré, devrait rendre au moins autant de services au développement des intérêts européens vers l’extrême Orient que ne le fera sans doute jamais le percement de l’isthme de Suez. Seulement il s’agit de trois ou quatre mille kilomètres à construire ; c’est une entreprise qui est tout à fait au-dessus des forces et du crédit de l’empire ottoman. Dans la position des choses, il y a même des raisons de croire que les efforts isolés d’aucun gouvernement ne pourraient la mener à bien. Il faudrait une entente commune, ne fût-ce que pour trouver les capitaux nécessaires à un si grand travail, et cette entente, elle ne pourrait s’établir que dans une conférence qui deviendrait une sorte de syndicat européen. Mais quel intérêt n’aurait pas aujourd’hui l’Europe à mettre Paris et Londres à dix ou douze jours de Bombay ? Quelle source de richesses, de lumières et de civilisation serait ouverte à travers tant de pays aujourd’hui déshérités et barbares !

Il y a donc juste raison de dire que, dans toutes les hypothèses, la réunion d’une conférence siégeant en permanence pour veiller sur les affaires de l’Orient n’est pas contestable en principe ni en droit, qu’elle n’est contraire aux intérêts avouables d’aucune puissance, que, bien loin de là, elle serait appelée à rendre à toutes les services les plus considérables, et qu’elle serait enfin le moyen le plus propice à la conservation de la paix générale, aussi longtemps qu’elle pourra être conservée.