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vivre qu’opposés entre eux ? Ce ne serait pas l’indépendance, mais ce serait une amélioration notable à la situation ; ce serait surtout le moyen de rendre quelque vie à l’administration, que les questions de personnes, qui sont à Constantinople plus brûlantes que partout ailleurs réduisent à une impuissance presque absolue. Le génie humain se serait mis à la torture pour combiner des conditions qui dussent faire d’une capitale un foyer d’intrigues, qu’il n’aurait certainement pas réussi à produire quelque chose de comparable à ce qui existe à Constantinople, et le plus grand service qui, pour le moment, pourrait être rendu au gouvernement du sultan serait sans aucun doute de trouver quelque dérivatif, d’imaginer une combinaison qui déplacerait ou combattrait ces intrigues. La réunion de la conférence proposée serait certainement le moyen le plus efficace pour arriver à ce résultat.

Le principe semble donc peu contestable et même excellent. Dans l’application toutefois, il y aurait lieu de faire subir à la proposition de lord Stratford de Redcliffe, telle qu’elle a été formulée, un amendement important. Cet amendement porterait sur le lieu où la conférence devrait se réunir et sur le personnel qui la composerait. Il y aurait en effet de graves inconvéniens à réunir la conférence à Constantinople, et à la composer des ambassadeurs accrédités auprès du gouvernement du sultan, ainsi que le proposait le noble lord.

D’abord, et seulement au point de vue géographique et de l’expédition des affaires, Constantinople serait un lieu mal choisi. Ce que l’Europe a le plus à craindre aujourd’hui de l’empire ottoman, ce sont les surprises et les explosions inattendues qui peuvent à tout moment exiger l’accord des puissances et une action presque instantanée de leur part. Aussi le lieu qui serait à déterminer devrait-il être choisi non pas en raison de sa proximité du théâtre des événemens, mais en raison des facilités qu’il offrirait aux parties contractantes pour l’échange rapide de leurs dépêches et de leurs idées. À ce titre, un point quelconque du centre de l’Europe serait infiniment plus convenable que Constantinople, qui, est elle-même placée à l’extrémité du rayon, en dehors des chemins de fer et des moyens réguliers de communications. Berne, Francfort, Bruxelles feraient infiniment mieux l’affaire, surtout si l’on voulait éviter les questions d’amour-propre et de rivalité qui naîtraient probablement, dans le cas où il s’agirait de fixer le siège de la conférence dans la capitale de quelqu’une des grandes puissances.

Ensuite, dans l’intérêt du sultan, et pour ménager son prestige, déjà si fort affaibli, il serait bon de tenir à quelque distance de lui le conseil de famille qu’on aurait pris le parti de lui donner, et ce conseil lui-même aurait tout à gagner, pour la maturité de ses délibérations, à être éloigné d’une atmosphère aussi dangereuse que