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grecs d’Orient jusqu’à celles que de nos jours encore l’empereur Nicolas faisait peser sur ses sujets catholiques ; mais du moins la sévère et terrible éducation qu’ont reçue les peuples chrétiens de l’Europe a produit des résultats qui éclipsent par leur magnificence et leur splendeur tout ce que le monde avait vu et peut-être même tout ce qu’il avait pu rêver. Que Dieu, dans ses impénétrables décrets, juge selon leurs mérites les auteurs des violences et des crimes qui ont été commis en son nom, ce qui reste cependant pour nous certain, manifeste, éblouissant comme le soleil, c’est que des épreuves imposées à son enfance la république chrétienne des peuples européens est sortie avec un cortège de nations dont la puissance et les lumières, dont la richesse, la moralité et la jeunesse toujours renaissante ne semblent plus pouvoir cesser d’être que par un acte de la volonté divine. Les moyens qui ont conduit à ce résultat, restent toujours soumis à la critique de l’histoire ; mais, quelque soit son jugement sur certains faits ou sur certains hommes, il lui reste à enregistrer avec orgueil la fondation d’une société de peuples qui ne sont plus divisés entre eux que par des nuances infiniment moins tranchées qu’on n’en pourrait signaler dans la population du plus petit des royaumes de l’Orient, et qui cependant se distinguent en individualités nationales que rien ne semble plus pouvoir effacer. La notion de l’état, à qui l’on peut se fier pour l’administration impartiale de la justice distributive, et le sentiment de la patrie, qui nous fait voir dans chacun de nos concitoyens un défenseur solidaire du bien commun, ont fondu les nationalités européennes en autant d’unités indissolubles et si bien liées que la critique historique a souvent aujourd’hui de la peine à en retrouver les origines.

Il en est tout autrement chez les Asiatiques, dont les musulmans ne sont après tout qu’une variété. Depuis Gengis-Khan jusqu’à Tamerlan et jusqu’à Nadir-Shah, il n’a pas manqué en Asie de destructeurs d’hommes ; mais il ne s’y est pas produit de convertisseurs inflexibles comme Charlemagne ou comme les cruels conquérans du Nouveau-Monde. Les conquérans asiatiques se répandaient sur la terre comme les torrens grossis par les pluies d’orage qui bouleversent et saccagent tout sous leur irrésistible effort, mais après le passage desquels les moissons et l’herbe des prairies se relèvent plus ou moins meurtries ou endommagées. Il leur suffisait de faire tout plier sous les pieds de leurs chevaux ; à aucun d’eux il n’est venu dans l’esprit d’employer les ruines qu’il avait faites, à la construction d’un nouvel édifice social. L’orgueil de la race, qui paraît être la forme la plus compréhensive sous laquelle se soit produit chez les Asiatiques le sentiment de la solidarité des hommes entre eux, ne