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est encore, à tout prendre, la moins intolérante de toutes les créatures qui peuplent l’empire ottoman. Dans ces contrées, où la religion est le signe de la race et de la nationalité, les rivalités et les haines religieuses sont d’une ardeur extrême, et ceux qui les ressentent le plus vivement sont aussi ceux que leur religion place dans une situation inférieure. Il y a sans doute quelque chose d’éminemment respectable et de touchant dans cet attachement que les vaincus ont conservé, à travers des siècles d’humiliation, à la foi de leurs pères et je les en louerais sans réserve, si la violence des sentimens qu’elle leur inspire se tournait seulement contre leur vainqueur ; malheureusement ce qu’il est encore vrai de dire, c’est qu’ils paraissent se détester plus entre eux qu’ils ne détestent l’infidèle ; C’est à propos d’une querelle entre Druses et Maronites que le feu vient de prendre en Syrie ; c’est à propos d’un refus de sépulture opposé par des Arméniens du rite grec à l’enterrement d’un Arménien protestant qu’il a peut-être failli prendre l’autre jour à Constantinople ; c’est à propos du premier sujet venu qu’une habile intrigue peut le faire prendre à tout instant entre les Grecs et les Arméniens, en nous disant comme toujours que c’est le résultat d’un complot tramé par la barbarie turque pour exterminer les chrétiens. Et de même que le sentiment de la race n’unit pas toujours les rayas quand par hasard la religion les sépare, ainsi que le prouve la vivacité des haines qui divisent entre eux les Arméniens grecs et les Arméniens catholiques, de même le sentiment religieux ne suffit pas à les unir quand c’est la race qui les sépare, ainsi que le prouvent les éternelles discordes des Grecs et des Arméniens du rite grec, des Bulgares et des Grecs de Roumélie qui appartiennent à la même église. Le Turc est moins intolérant qu’aucune de ces races dont l’intolérance réciproque va presque toujours jusqu’à unir chacune d’elles au Turc contre chacune des autres. En tout lieu de l’empire ottoman, c’est l’histoire de chaque jour.

N’avoir réussi à rien constituer politiquement qu’un pareil état de choses, c’est la véritable faute des Turcs, et une faute qui suffirait à elle seule pour entraîner une condamnation définitive. Au lieu de fonder un état et une société, ils n’ont réussi, comme les autres Orientaux, qu’à créer une agglomération de races conjurées pour se perdre les unes les autres. Le christianisme (il est bien entendu qu’on en parle seulement ici au point de vue temporel et historique), le christianisme, autant que nous savons ce qui s’est passé sur la terre, est probablement de toutes les formes religieuses celle qui a le plus fait la guerre et fait disparaître le plus grand nombre de nationalités. C’est certainement ce que l’histoire nous enseigne depuis le temps des premières persécutions exercées par les empereurs