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puisse rouler une diligence ou une charrette. Les chemins ne sont accessibles qu’aux cabrouets, les chars à bœufs de la culture locale. Saint-Pierre et Fort-de-France, éloignés de 30 kilomètres, ne communiquent que par mer. Dans l’intérieur, pas une route ! Les excuses ne manquent pas, et la première de toutes se tire de la configuration très accidentée du sol. Sans nier le fait, il ne saurait s’imposer à l’intérêt public, ni à l’industrie moderne. Aussi l’administration commence-t-elle à secouer sa torpeur, et l’on parle d’un chemin de fer à établir entre le Saint-Esprit et la Rivière-Salée. Sans repousser aucune offre, les habitans insistent avant tout sur un réseau général de bonnes voies ordinaires. À la Guadeloupe, la situation est meilleure, Basse-Terre et Pointe-à-Pitre communiquant par une belle route et un service régulier. La Grande-Terre est plus ouverte encore, et des voies construites par les troupes de la marine rayonnent du chef-lieu à l’intérieur ; mais la région de l’ouest, la Guadeloupe propre, montagneuse comme la Martinique, n’est guère plus favorisée.

Les colons attachent aussi un grand prix à l’élévation de barrages qui retiendraient et distribueraient les eaux, à l’entretien, à l’achèvement et à la création de canaux, comme la Grande-Terre en possède quelques-uns, propres à rendre moins coûteuse la circulation de leurs denrées, toutes lourdes et encombrantes. En beaucoup de points, la canalisation partielle des rivières suffirait pour établir des relations, aussi sûres que régulières et économiques, entre l’intérieur du pays et le littoral. Il conviendrait en même temps de déblayer les lits, surtout les embouchures des cours d’eau, où la rencontre des eaux de mer avec l’eau douce entretient des marais et des miasmes qui, aux jours néfastes, sèment à travers le pays la terrible fièvre jaune, épouvantail plus sérieux que les fièvres intermittentes et les dyssenteries communes à toutes les latitudes.

Les ports réclament de l’état une égale sollicitude. Les deux colonies sont également bien dotées à cet égard par la nature. À la Martinique, la rade de Fort-de-France, qui, dans tout le golfe du Mexique, ne compte de rivale que celle de La Havane, peut recevoir, par tout temps et à l’abri des ouragans et des tempêtes, des navires de tout tonnage et des flottes entières. Il ne lui manque qu’un bassin de radoub, dont la dépense entière est estimée à 2 millions : or un vote récent du corps législatif n’a accordé pour cette création si nécessaire qu’un crédit de 290,000 francs à compte d’une subvention totale de 1 million, la colonie devant fournir le reste. C’est là pourtant une dépense de première urgence, car, faute de cette ressource, les navires qui ont souffert quelque avarie doivent aller se faire réparer à Saint-Thomas ou dans tout autre port étranger,