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qui, entre elles cinq, entretiennent près de deux millions d’hommes sous les armes se fissent beaucoup prier pour fournir pendant cinq ou six ans un corps d’occupation de 20 ou de 25,000 hommes, qui serait indispensable au nouveau gouvernement pour s’établir, comme il n’est pas probable non plus qu’elles se refusassent à lui faire, sur des budgets dont l’ensemble monte à six ou sept milliards, une avance de quelque cinquante millions qui ne serait pas moins indispensable.

On pourrait aussi par prévision neutraliser les troupes qui seraient employées à ce service d’ordre européen.

Même en supposant que tout cela réussît, il est encore une question sur laquelle il serait nécessaire de s’entendre à l’avance. L’Arabie, qui en droit dépend, comme la Syrie, du sultan, mais sur laquelle en fait il ne règne pas plus que sur la Syrie, comme on ne l’a que trop vu à Djeddah l’année dernière, l’Arabie se trouverait, par suite d’un arrangement pareil, encore plus étrangère au sultan qu’elle ne l’est maintenant. L’anarchie ne serait pas seulement, comme aujourd’hui, son état réel ; ce serait, s’il est permis de parler ainsi, son état constitutionnel, mais que les intérêts européens auraient de la peine à tolérer, parce qu’ils ont besoin de sécurité dans la Mer-Rouge. Il serait prudent de statuer d’avance sur cette question. Et même, en tout état de cause, ne serait-il pas sage d’y penser dès aujourd’hui ? L’Europe peut-elle se contenter longtemps encore d’illusions ? Peut-elle accepter, comme garantie efficace et actuelle de ses intérêts dans la Mer-Rouge, le droit légal qu’elle a de porter, en cas de malheur, ses griefs à Constantinople, qui n’est même plus assez riche ni assez puissante pour assurer la réparation des crimes accomplis, à bien plus forte raison pour les prévenir ?

C’est ainsi qu’en travaillant à approfondir les questions, on arrive toujours à voir se lever devant soi de nouvelles et sérieuses difficultés ; mais parce qu’une solution n’est pas parfaite, est-ce une raison pour la rejeter, surtout en matière politique, surtout quand il s’agit de combler les vides que laisse se faire autour de lui un état qui est en décadence manifeste ? À ce compte, il n’y aurait de juste et de vrai dans le monde que la paralysie, et au lieu d’aider la situation à se dénouer de la façon la moins préjudiciable aux intérêts de tous, on ne ferait qu’augmenter les périls, en appelant les catastrophes les plus terribles sur ceux-là mêmes qu’on aurait eu la prétention de respecter.

Ici l’Europe se trouve aux prises avec une situation que dominent des lois en quelque sorte fatales, car il n’appartient à personne sur la terre, ni peuple, ni homme d’état, de soustraire l’empire turc à la défaillance qui est la cause des complications actuelles, qui sera