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Le corps d’armée de l’Arabistan, comme on appelle les levées qui se font en Syrie, n’existe guère que sur le papier ; c’est tout simplement une mine à exploiter pour les concussionnaires, et la moralité des quelques hommes que l’on est obligé de tenir sous les drapeaux, on vient de voir par les événemens de Damas le cas qu’il en faut faire. À quelque point de vue qu’on se place, la Syrie n’est pour le sultan qu’une cause de faiblesse et qu’une occasion de scandale.

Si donc le concert européen parvenait à convaincre le sultan de la sagesse de ces conseils, il aurait rendu un véritable service à la cause générale et au sultan lui-même ; mais s’il éprouvait un refus à Constantinople, devrait-il et pourrait-il prendre le parti de passer outre ? Oui sans doute, il le pourrait et il le devrait faire. Les traditions de la diplomatie et du droit international lui fourniraient des antécédens qui justifieraient une pareille résolution. En 1827, n’est-il pas intervenu entre le sultan et l’une de ses provinces révoltées pour constituer le royaume actuel de la Grèce ? Si en 1830 et dans les années qui ont suivi l’Europe a semblé faire d’abord quelques difficultés pour reconnaître nos droits sur l’Algérie et pour sanctionner l’état de choses que nous voulions voir établi à Tunis, n’a-t-elle pas fini cependant par accepter ce que nous avons fait ? De même en 1840 n’a-t-elle pas, malgré la résistance du sultan, institué en Égypte une vice-royauté héréditaire ?

Ce sont là autant d’exemples très frappans et qui peuvent être invoqués dans les circonstances actuelles avec d’autant plus de force qu’en Grèce, en Algérie, à Tunis, en Égypte, il s’agissait précisément, comme aujourd’hui en Syrie, de pays que le sultan ne pouvait plus gouverner, et de la nécessité de créer quelque chose là où son impuissance ne laissait plus que le vide et l’anarchie. Et si l’on rejette ces précédens parce que, s’appliquant tous à l’empire ottoman, ils ont l’air de tendre à la création, en dehors du droit commun, d’une jurisprudence spéciale qui serait particulièrement applicable à l’Orient, on peut trouver encore dans l’histoire récente de l’Europe un cas analogue et qui doit lever tous les scrupules. En 1830, les provinces belges du royaume des Pays-Bas s’étant insurgées contre le gouvernement que le congrès de Vienne leur avait donné, l’Europe se trouva dans une position infiniment plus délicate que celle où elle se trouve aujourd’hui vis-à-vis de la Syrie. C’était son propre ouvrage qu’il fallait défaire, c’était la première brèche à ouvrir dans ces traités de 1815 qui tenaient si fort au cœur de tous les gouvernemens, excepté celui de la France. D’un autre côté, les provinces soulevées n’avaient véritablement à alléguer d’autres griefs qu’une question d’antipathie nationale et de suprématie religieuse, et elles ne pouvaient pas prétendre que le sceptre de la maison d’Orange