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Angleterre, voulut profiter de l’occasion et accompagna son oncle. On était en plein blocus continental, et il ne fallait rien moins qu’un passeport signé de la main de l’empereur pour toucher le territoire anglais. Oberkampf fut reçu avec une bienveillance toute particulière. Informé que Samuel Widmer avait une faveur à lui demander, l’empereur le fit appeler aussitôt. Il ne put qu’approuver un voyage dont le but était l’exploration des principales manufactures de l’Angleterre et de l’Ecosse, et il promit à Widmer un passeport pour lui et pour un de ses frères qui devait l’accompagner. Widmer se retira, heureux du succès de sa démarche, et la pièce promise lui arriva deux ou trois jours après. Oberkampf a laissé sur sa visite à Saint-Cloud une note qu’il faut se borner à citer textuellement, car elle est empreinte d’une naïve candeur qui est ici un trait de caractère.


« Je suis resté avec lui plus d’une heure, dit Oberkampf. Il m’a fait un très grand nombre de questions, dont je ne rapporte ici que les principales. — Comment avez-vous commencé votre établissement ? N’est-ce pas que c’est le premier million qui est le plus difficile à gagner ?

« Je lui ai dit qu’on avait beaucoup trop exagéré ma fortune dans les journaux, et qu’elle avait été bien écornée par la perte de quinze cents balles de coton en Espagne. Il m’a répondu qu’on lui avait assuré que j’avais partagé dix millions avec un associé vingt ans auparavant. — Combien avez-vous d’enfans ? combien leur donnez-vous de dot ? Avez-vous un fils ? S’occupe-t-il de vos affaires ou mangera-t-il son bien, comme cela arrive d’ordinaire ? — Il m’a dit avoir fait le nouveau tarif des douanes, afin d’empêcher la contrebande. Je lui ai fait observer qu’il avait trop imposé les cotons. Il m’a répondu qu’il ne prenait que le prix des contrebandiers, — que toutes les puissances étaient obérées, et que lui seul avait de l’argent, — que la Hollande paiera 50 millions et empêchera les Anglais de faire la contrebande, que l’ancien gouvernement avait tolérée ; — qu’il fera brûler toutes les marchandises fabriquées qu’on a saisies et poursuivre les contrebandiers partout ; — qu’il avait donné 3 millions pour planter la plaine de Rome en coton, et que cela vaudrait mieux qu’un papier — Pouvez-vous travailler à aussi bon marché que les Anglais ? Pour combien vendez-vous en Italie ? Quel terme donnez-vous ? etc. »


Telles étaient les questions, et Oberkampf ne donne pas les réponses, qui auraient ici peu d’intérêt. Quant à l’empereur, il dit quelque part dans le Mémorial de Sainte-Hélène, en parlant de son tarif de douanes : « J’ai consulté Oberkampf, » C’était la vérité ; mais il l’avait consulté à la façon de ceux qui suivent toujours leurs idées, c’est-à-dire après coup.

Jusqu’à la chute de l’empire, rien ne troubla la paix féconde de Jouy ; ce qui ne veut pas dire que la vie d’Oberkampf, quelque honorée, quelque heureuse qu’elle fût, ait été exempte des douleurs qui sont la loi commune de notre passage sur la terre. La mort avait plusieurs fois visité sa maison, lui prenant tantôt des enfans en bas