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cours de physique et de chimie devant l’état-major de la fabrique.

Il était dit que, sous tous les régimes, la manufacture créée par Oberkampf attirerait l’attention des hommes appelés à gouverner la France. Le vendredi 20 juin 1806, entre deux et trois heures du soir, un gendarme des chasses entrait au galop dans Jouy et s’arrêtait devant la maison d’Oberkampf ; il ne dit que quelques mots, mais ces mots, répétés de bouche en bouche, arrivèrent comme une tramée de poudre jusqu’aux extrémités du village : l’empereur venait visiter la manufacture. La population tout entière fut en un instant sur pied ; quelques minutes après, Napoléon arrivait, accompagné de l’impératrice Joséphine. Oberkampf, entouré de sa famille et d’un cercle de commis et d’ouvriers, attendait sur le seuil. L’empereur échangea d’abord quelques paroles avec le grand manufacturier, puis, en homme accoutumé à aller droit au but, il voulut voir tout de suite la machine à imprimer. Le cortège se dirigea aussitôt vers l’imprimerie en cuivre, située au rez-de-chaussée du grand bâtiment. La machine était au repos. Dès que les visiteurs se furent placés pour la voir fonctionner, au signal donné elle se mit en mouvement, et la toile blanche, glissant sous le cylindre, sortit imprimée, avec une vitesse de 7 mètres 1/2 par minute. On opéra ensuite un changement à vue du dessin par la substitution instantanée d’un nouveau cylindre au précédent. L’empereur témoigna à plusieurs reprises sa satisfaction de la rapidité de cette manœuvre, puis il alla de salle en salle et d’étage en étage, examinant rapidement chaque opération et faisant sur l’industrie des toiles peintes un feu roulant de questions auxquelles le chef de la maison et ses principaux auxiliaires avaient à peine le temps de répondre. Les gens du village attendaient la sortie du souverain ; quant aux ouvriers, dont le nombre s’élevait alors à près de quatorze cents, les uns se pressaient aux fenêtres, les autres formaient déjà la haie sur le passage du cortège. C’était le moment favorable. L’empereur détacha de sa poitrine la croix de la Légion d’honneur et la remit à Oberkampf, en déclarant à haute voix que personne n’était plus digne de la porter. On devine avec quel enthousiasme furent accueillies ces paroles. L’honneur qui venait d’être fait par le chef de l’état au manufacturier de Jouy produisit une vive sensation dans le monde commercial, et l’effet ne fut pas moins puissant en Suisse et en Allemagne qu’en France. Les lettres de félicitations arrivèrent de toutes parts. L’industrie tout entière se sentait glorifiée en la personne de son plus digne représentant.

C’est pendant cette même année 1806 qu’eut lieu la quatrième exposition de l’industrie. Pour la première fois, Jouy envoya ses produits, et la médaille d’or fut décernée à Oberkampf. Pendant les années suivantes, les progrès techniques continuèrent toujours.