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des produits de Jouy, se chargea de faire honneur aux échéances de Tavannes. Le danger avait été conjuré par cet esprit de décision qui était un des traits du caractère d’Oberkampf.

Dans le petit atelier, on suppléait à l’exiguïté des ressources par l’ardeur au travail. Pendant la première année, on imprima trois mille six cents pièces. Le négociant parisien qui avait pris en main la direction des affaires savait que ce n’était pas là le quart de ce qu’il aurait pu vendre : c’était un homme de beaucoup d’adresse et de peu de scrupules. Flairant un grand succès, il parvint à effrayer Tavannes, et il finit par l’évincer en le désintéressant moyennant la somme de 6, 200 livres ; puis, tout en prodiguant à Oberkampf de grands témoignages de considération, il obtint du candide jeune homme, ouvrier consommé, mais encore bien neuf en affaires, sa renonciation à une partie des avantages primitivement stipulés en sa faveur. Un frelon malfaisant s’était introduit dans la ruche. Heureusement il arrive parfois que ces hommes si fins trouvent sur leur chemin une pierre d’achoppement. Tavannes disparu, M. Parent proposa de mettre en tiers dans l’association un de ses amis, qui apportait dans l’affaire un capital de 50,000 livres. Oberkampf accepta avec joie, et l’autre ne put refuser.

Ce nouveau personnage, qui devait être pendant vingt-sept ans le fidèle associé d’Oberkampf, et qui resta son ami dévoué quand leurs intérêts furent séparés, était M. Sarrasin Demaraise, avocat au parlement de Grenoble et ancien lieutenant particulier de la maîtrise des eaux et forêts dans le Dauphiné, son pays natal. M. Demaraise était venu résider depuis quelques années à Paris. C’était un galant homme, qui possédait quelque fortune, et avait d’excellentes relations dans la bourgeoisie. Ses connaissances en jurisprudence étaient étendues ; mais, par un contraste qui se produit fréquemment entre les aspirations et les aptitudes, un goût décidé l’entraînait vers les choses du commerce et de l’industrie, tout un ordre d’idées pour lequel il n’était que médiocrement doué. D’un commun accord, la comptabilité fut transférée dans la maison qu’habitait le nouvel associé, rue Saint-Méry, et la manufacture de Jouy eut désormais une succursale à Paris. À peine M. Demaraise se fut-il rais au courant de la situation qu’il vit clairement que l’ennemi, quoique déguisé, était au cœur de la place. Il fit part de ses intentions à Oberkampf, et ayant obtenu son assentiment, il entama un procès pour chasser le renard qui s’était adjugé la part du lion. Fort de sa science du droit, mise au service d’une cause juste, M. Demaraise pourchassa vaillamment l’adversaire dans les noirs sentiers de la procédure. Toutefois Oberkampf n’était pas dans une aussi tranquille disposition d’esprit. L’issue toujours douteuse d’un procès le préoccupait au milieu de son labeur, et à cette anxiété se joignaient encore les tracasseries