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l’esprit nouveau commençait à se répandre, et un groupe d’écrivains battait déjà en brèche la vieille économie politique. Les réponses ne manquèrent donc pas.

De tous ceux qui dans le royaume suivaient la polémique engagée entre les fabricans et les économistes, nul assurément n’appelait de vœux plus ardens la levée de la prohibition qu’un pauvre artisan étranger récemment arrivé à Paris. C’était un jeune homme de vingt ans, petit de taille, à l’œil vif, au front largement développé, et qui portait dans la simplicité de ses allures, comme dans le caractère ouvert de sa physionomie, la forte empreinte de son origine germanique. Il vivait obscurément du labeur de ses mains au fond d’un quartier reculé. Un grand projet remplissait déjà cette jeune tête, et ce projet, la décision du conseil du commerce pouvait en faire un rêve stérile ou une réalité. On ne s’étonnera donc point de l’intérêt pris à la lutte par l’ouvrier qui devait illustrer le nom d’Oberkampf. Personne n’ignore avec quel éclat s’est poursuivie la destinée industrielle que nous rencontrons ici à ses débuts. Ce qu’on ne sait qu’imparfaitement toutefois, c’est au prix de quels efforts Oberkampf dota notre pays d’une de ses industries les plus prospères. Il y a des carrières qu’il ne suffit pas d’observer dans leurs grands aspects, et qui gagnent à être étudiées dans les plus humbles incidens qui les ont remplies. L’étude essayée ici d’après des documens intimes prouvera, on l’espère du moins, la vérité de cette assertion : mais il faut, pour la mieux faire ressortir, ne pas prendre la destinée d Oberkampf à l’époque seulement de son arrivée à Paris ; il faut remonter de quelques pas en arrière. Ainsi se déroulera dans toute son unité austère une existence non moins riche en exemples de forte initiative que celle de Stephenson, devenu pour l’ouvrier anglais une sorte de héros populaire.


I

Christophe-Philippe Oberkampf était né, le 11 juin 1738, à Wissembach, dans le margraviat d’Anspach. Ce petit territoire fait partie du royaume de Wurtemberg. Sa famille était luthérienne. Son père, Philippe-Jacob, était un ouvrier habile, qui, dès sa jeunesse, avait fait bien des pérégrinations à travers les villes allemandes, et,