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la sucrerie, à la caféterie, à la cacaoyère ; on ne ferait ainsi que revenir aux anciennes pratiques de la colonie et suivre les exemples donnés déjà par les planteurs de la Barbade, la plus florissante des Antilles anglaises. Un habile agencement des travaux mettrait à profit les différences des saisons, des terres, des aptitudes personnelles, de manière à occuper toute l’année l’ensemble des travailleurs que la canne à sucre absorbe pendant quelques mois au-delà de leurs forces, sans pouvoir leur assurer toute l’année des occupations également actives. Une solide et complexe unité remplacerait l’unité boiteuse d’aujourd’hui, qui, reposant sur le sucre seul, fatigue le sol par la monotonie d’un produit toujours identique. Le sucre n’en restera pas moins le pivot de l’exploitation rurale, et, loin de s’en plaindre, il faut féliciter les colonies françaises de leur aptitude pour un produit dont la consommation va croissant. Remarquons toutefois que la fabrication n’appelle pas de moindres progrès que la culture. D’heureuses innovations ont été déjà réalisées dans une usine de la Martinique, dans quatre ou cinq de la Guadeloupe : elles se résument dans le remplacement des chaudières cuisant le vesou à air libre, que protègent une routine de deux siècles et la gêne pécuniaire des planteurs, par des appareils perfectionnés dont la maison Derosne et Cail fournit le monde entier[1]. Des progrès secondaires dignes d’éloge font passer la force motrice du plus bas degré, celle des animaux, aux échelons supérieurs du vent, de l’eau, de la vapeur. Armés d’une puissance nouvelle dans les champs et dans l’usine, les planteurs dépasseront autant le chiffre de la production actuelle que celui-ci, fruit du travail libre, a dépassé le chiffre donné par l’esclavage. En 1849, dernière récolte du travail esclave, nos Antilles exportèrent 36 millions de kilos de sucre ; en 1858, l’exportation a été de 56 millions ; en quelques années, elle peut atteindre 100 millions. L’accroissement viendra de l’extension des surfaces et d’un plus fort rendement. Les plantations de canne ne couvrent à la Martinique qu’un sixième, à la Guadeloupe qu’un onzième des superficies totales[2]. Des deux parts, le rendement moyen oscille entre 16 et 1,700 kilogrammes par hectare, représentant une valeur brute de 8 ou 900 francs, tandis qu’il est possible de le porter à 2,500 kilogrammes, soit cinq barriques. Les sirops et mélasses, résidus du sucre, tantôt sont exportés en nature et donnent lieu à

  1. Voyez, dans la Revue du 1er novembre 1857 et 1er mai 1859, les études de M. Payen sur la fabrication du sucre.
  2. En 1856, sur 98, 782 hectares, la Martinique en avait 31,723 de cultivas, dont 18,202 en canne ; la Guadeloupe, sur 165, 513 hectares, en avait 23,876 de cultivés, dont 14,180 en sucre. La production totale était d’environ 54 millions de kilogrammes. Tous ces chiffres se sont encore élevés depuis trois ans.