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s se déclarent. Rien ne s’adapte, ni les natures de service, ni les modes de comptabilité, ni les moyens de contrôle. Dans un travail de dissection, on peut rechercher ingénieusement ces membres épars, les ressaisir, les grouper ; il n’en sort que des approximations, rien de positif, rien de rigoureux. Ces analyses ont un autre tort, c’est qu’à travers une multitude de petits faits les grands faits s’effacent et échappent. Ce sont ces derniers surtout qu’il convient de dégager pour qu’ils gardent toute leur force. En disant que, pour la marine, le budget anglais est de 390 millions, le budget français de 124, on aura plus vivement agi sur l’opinion, mieux éclairé les esprits qu’en s’efforçant d’établir, chapitre par chapitre, détail par détail, d’où provient cette inégalité et comment se répartit cette différence. Pour les postes supérieurs, le cas est le même. Nous avons en France un ministre responsable entouré de fonctionnaires spéciaux et de conseils consultatifs. L’Angleterre a son amirauté, qui se compose d’un premier lord siégeant au conseil des ministres et d’un conseil de cinq lords, dont quatre sont choisis parmi les officiers-généraux et le cinquième, appelé le lord civil, pris en dehors du service et appartenant à la chambre des communes. Un premier et un second secrétaire, tous deux personnages politiques, sont attachés à l’amirauté pour la préparation et l’expédition des affaires. Dans les deux institutions ; le génie des peuples se retrouve. En France, tout se ressent du degré d’action du ministre ; suivant qu’il est bien ou mal inspiré, qu’il s’efface ou qu’il se montre, les affaires de son département prennent une marche meilleure ou pire. Dans l’amirauté, ces alternatives ne se rencontrent pas, au même degré du moins ; l’esprit y est plus suivi, la tradition mieux maintenue. Les personnes changent, le corps reste ce qu’il est ; il se garde sur le terrain de ses attributions avec un soin jaloux, et maintient au-dessus de toute atteinte l’indépendance de ses mouvemens. En agissant ainsi, il est fidèle à ses origines. L’amirauté n’a été fondée en effet qu’à la suite d’une lutte contre la couronne et au préjudice d’une de ses prérogatives ; elle est une preuve de plus du prix que les Anglais attachent à se gouverner eux-mêmes. Il y a deux siècles, le commandement de la marine était une des charges qui relevaient du souverain ; un grand-amiral, membre de la famille régnante, en était investi, et prétendait l’exercer en dehors du contrôle des communes. Celles-ci réclamèrent, un conflit s’engagea ; après quelque résistance, un compromis eut lieu. La charge de grand-amiral ne fut pas supprimée ; on ne supprime rien en Angleterre, on transforme seulement. On maintint donc la charge en la mettant en commission, et les lords qui furent promus prirent le titre de commissaires chargés des fonctions de grand-amiral d’Angleterre et d’Irlande. Le pouvoir effectif passa dans leurs mains, le parlement eut gain de cause ;