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cinq frégates neuves et quelques bâtimens accessoires complétaient ce renouvellement du matériel. À aucune époque, pareil mouvement ne s’était vu. D’après les chiffres fournis au parlement par lord Paget, secrétaire actuel de l’amirauté, les constructions neuves comprenaient, dans le cours des deux dernières années, 46,284 tonneaux, dont 20,210 pour les vaisseaux, 21,608 pour les frégates. Les commandes en machines à vapeur s’élevaient à 16,730 chevaux. En 1860-1861, on ajoutera à ces chiffres 13,216 tonneaux de vaisseaux de ligne, 13,500 tonneaux de frégates, 4,871 tonneaux de corvettes, 8,045 tonneaux de bâtimens inférieurs, plus 12,800 chevaux de vapeur. Il semble qu’à f envi les cabinets qui se succèdent accélèrent l’élan au lieu de le ralentir, et il est évident que, sensé à ses débuts, le développement de la force anglaise commence à prendre un caractère d’exagération.

Pendant ce temps, que faisions-nous ? Nous laissions-nous entraîner par l’exemple ? À cet effort de la marine rivale répondions-nous par un effort correspondant ? Il suffit de parcourir les états officiels pour se convaincre que nous n’avons pas poussé bien loin les représailles. Nous nous en sommes tenus strictement aux dispositions du décret de 1857, préparé en 1855 par une commission, et fixant, avec les crédits annuels, les proportions de notre effectif réglementaire. Pas un vaisseau, pas un million, n’ont été ajoutés à cette loi, qui ajourne à dix ans le complet établissement de nos forces. Aux trente vaisseaux neufs ou transformés que l’Angleterre, en vingt-six mois, a fait sortir de ses chantiers, nous n’avons opposé que cinq ou six vaisseaux du même rang. C’était montrer une discrétion exemplaire. Elle demandait coup sur coup, et à trois reprises différentes, 200 millions pour l’accroissement de son matériel naval : nous ne sommes pas sortis des 17 millions que notre budget affecte annuellement à cet emploi. Comment s’expliquer dès lors les récriminations dont nos armemens sont l’objet, et qu’à plus juste titre nous pourrions renvoyer à ceux qui les élèvent ? Que l’Angleterre se croie obligée, pour le maintien de sa grandeur, à des sacrifices sans exemple encore, qu’elle veuille, par des préparatifs imposans, étouffer ; en germe jusqu’au désir d’attenter à son repos, qu’elle se mette en garde jusqu’à l’excès contre les surprises et les aventures : c’est là une conduite qui se justifie d’elle-même, sans qu’il soit nécessaire d’y mêler de fausses alarmes, indignes d’un peuple éclairé et résolu. Il va de soi que les forces dont on dispose doivent être d’autant plus considérables qu’elles s’exercent dans un rayon plus étendu, et qu’ayant beaucoup à protéger, une puissance doit s’efforcer de rendre partout cette protection efficace. Voilà de grandes considérations ; elles n’auraient rien perdu à être dégagées d’injustes accusations et de puériles terreurs.