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Dans cet inventaire des motifs qui rendaient les précautions urgentes, notre marine n’a point été oubliée. Aucune arme n’est vue en Angleterre d’un œil plus jaloux. Le premier ministre n’a pas manqué de présenter les développemens de la force anglaise comme la conséquence des développemens de la nôtre ; peu s’en faut qu’il n’ait ajouté que, dans cette rivalité d’efforts, l’amirauté est restée en-deçà, et que, pour nous atteindre, elle a encore quelques pas à faire. Lord Clarence Paget s’est chargé du commentaire ; il a essayé de rétablir la balance entre les deux marines en mettant dix vaisseaux anglais hors de compte. Ces fictions n’ont rien de digne, même pour forcer la main au parlement. Le détail très exact et le tableau nominatif des armemens anglais ont été récemment publiés en regard de l’état des armemens français[1]. À l’aide de ces documens et de ceux que fournit le Navy List du 1er juillet 1860, on peut, à cette date, fixer de la manière la plus rigoureuse la situation des deux marines.

En bâtimens de combat, les Anglais avaient alors à flot 63 vaisseaux et 41 frégates à hélice ; nous avions 35 vaisseaux et 38 frégates à hélice : la différence est de 28 vaisseaux et de 3 frégates en leur faveur. C’est, à quelques unités près, la proportion que nous constations l’année dernière. Il est vrai que, pour prendre cette avance, l’amirauté a eu besoin de faire un grand et coûteux effort. Dans une période récente, les deux marines se balançaient ; égaux pour le nombre, nous l’emportions même pour la qualité. Les fêtes maritimes de Cherbourg amenèrent l’Angleterre à examiner de plus près ses ressources. Une enquête eut lieu, et il fut reconnu que des 50 vaisseaux à hélice qui figuraient sur les états de l’amirauté, 20 seulement étaient propres à un service de guerre. Nous en avions alors 29 ou à flot ou prêts à être lancés. L’Angleterre n’avait que 34 frégates, nous en avions 46. Les choses en étaient là dans le courant de 1858 ; l’avantage nous appartenait évidemment. Un décret de 1857 affectait en outre un crédit de 170 millions à répartir sur dix exercices jusqu’en 1867 pour des constructions neuves qui devaient porter notre flotte de combat à 40 vaisseaux et 50 frégates à hélice. En présence de ces faits, l’Angleterre fit un retour sur elle-même : dans cette distribution des forces, elle vit un danger public et n’épargna rien pour le conjurer. Son réveil a donné la mesure de son activité et de sa puissance. Dès la fin de 1858, quatre vaisseaux à voile étaient transformés : en 1859, six vaisseaux neufs étaient mis à flot, cinq autres convertis ; deux béliers à vapeur, pourvus d’un blindage, étaient commandés à l’industrie privée ;

  1. Voyez la brochure sur les Budgets de la marine en France et en Angleterre, dont l’auteur se présente sous les auspices du ministre d’état.