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de ce stimulant ; mais il faut admettre en même temps que ce langage, doux à nos oreilles, est moins agréable aux nations que l’on condamne à un rôle subordonné. Il doit leur sembler d’assez mauvais goût qu’on signale les événemens accomplis, ou comme un préjudice porté à leur influence, ou comme une menace contre leur intégrité. Elles ne s’accommodent pas non plus de ces arrêts de déchéance au moins prématurés, et seraient tentées de prouver qu’elles ne sont pas autant qu’on le dit à bout de ressources et de vigueur. Inévitable effet d’un régime où le contrôle exercé sur les opinions en déplace la responsabilité ! Dans les pays vraiment libres, les paroles et les écrits n’engagent que les individus ; il en est autrement sous l’empire d’une liberté relative : on veut voir alors la main du gouvernement partout, même dans ce qu’il tolère ou frappe d’un désaveu.

Ainsi, dans les faits et dans les sentimens, il y a un bon et un mauvais côté qu’il convient d’avoir également présens à l’esprit lorsqu’on veut se rendre un compte exact des choses. Certes il vaudrait mieux s’associer aux témoignages de confiance qui nous sont venus cette année de quelques conseils-généraux et croire au maintien de la paix sur cette seule garantie. La paix malheureusement ne dépend ni d’intentions ni de désirs ingénieusement exprimés ; elle tient à des causes plus profondes. Dans ce sens, l’étude de nos forces prend un intérêt facilement appréciable ; il est surtout bon de savoir où nous en sommes pour notre marine, qui du second plan peut passer au premier. Des travaux pleins d’autorité ont depuis vingt ans suivi et signalé dans la Revue les efforts de cette arme, ses besoins, son histoire, ses rapides transformations ; ce sujet compte donc ici de nobles et savantes traditions à l’abri desquelles se place le moins compétent de ceux qui s’en sont occupés.


I

Avant d’entrer dans l’examen des détails, il est essentiel de faire justice d’un mot dont on use trop souvent, et qui, en Angleterre surtout, sert à couvrir l’exagération des préparatifs. Il ne s’agit, dit-on, que de mesures de défense. En France même, on parle d’une marine offensive et d’une marine défensive, en distinguant l’une de l’autre, comme si la chose allait de soi. Il faudrait pourtant s’entendre sur les termes de cette distinction. Que les redoutes à terre, les ouvrages fixes, soient considérés comme de simples moyens de défense, on peut l’admettre, avec une réserve pourtant : c’est que de tels ouvrages, en donnant la sécurité, rendent plus disponibles les ressources flottantes et augmentent les forces que l’on aurait à mettre en ligne ; mais, pour le matériel à flot, séparer la défense de l’attaque, c’est se