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Pierre ; à la Guadeloupe, la Basse-Terre[1] et Pointe-à-Pitre. Par une rencontre digne d’être notée, dans l’une et l’autre île la prééminence commerciale s’est détachée de la capitale administrative, et cette rivalité a suscité bien des querelles qui ont pris quelquefois les proportions d’une guerre civile. À la Martinique, Fort-de-France, chef-lieu politique, n’a jamais pu, malgré la supériorité de son mouillage, attirer le commerce et les affaires, qui ont préféré la rade foraine de Saint-Pierre, quoiqu’elle ne soit pas tenable pendant l’hivernage : les libres allures du commerce s’accommodent mal du voisinage de l’administration. À la Guadeloupe, la situation est différente : la Pointe-à-Pitre, qui est déjà la principale ville pour la population, le commerce, les affaires, la supériorité du mouillage, réunit en outre l’avantage, essentiel pour un chef-lieu administratif, d’occuper une position centrale, tandis que la Basse-Terre se trouve, à l’extrémité occidentale, dans des conditions agricoles et nautiques de beaucoup inférieures. La Pointe-à-Pitre semble donc fondée à réclamer la translation de tous les pouvoirs dans son enceinte, et quelque respect que l’on témoigne à la tradition, l’établissement de l’unité en un pays si divisé est un avantage digne d’être apprécié.

De ces premiers points d’abordage, qui se sont avec le temps multipliés sur le pourtour des deux îles, partout où l’ancre a pu mouiller, la population se répandit rapidement à l’intérieur. Chateaubriand et après lui divers écrivains ont prétendu que l’humeur sociable des Français les portait, en pays étrangers, à fonder des villages, et qu’ils languissaient de nostalgie dans l’isolement des fermes, si agréable aux Anglo-Saxons. Cette considération n’aurait même point été étrangère à l’établissement officiel des villages algériens : hypothèse spécieuse que dément l’histoire de nos colonies ! Aux Antilles particulièrement, les émigrans, libres de leurs actes, ont tous fondé dans les campagnes, suivant les conseils de l’économie rurale, des fermes isolées ou habitations ; les villes n’ont été que des comptoirs où le planteur venait s’approvisionner des articles d’Europe et livrer ses récoltes ; il y séjournait à peine, et se hâtait de regagner sur son morne le grand air et la liberté. L’honneur et le signe de l’aristocratie, . comme aux âges de féodalité, comme aujourd’hui encore en Angleterre, consistaient dans la résidence aux champs, entourée d’un cortège de serviteurs et d’ouvriers, embellie par cette légère architecture de parcs et de hangars, de magasins et de cases, de moulins et de séchoirs rangés à proximité de la sucrerie, qui font d’une

  1. Dans l’archipel des Antilles, on appela de bonne heure Basse-Terre le côté opposé au vent, et Capesterre le côté du vent. Ces dénominations sont restées à certaines zones et. quelquefois à certains centres de population.