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père à sa fille, l’annonce de ma visite et deux ou trois mots sur la foi qui était due à quelqu’un qui l’avait vu depuis si peu de jours. Il entama ensuite une conversation sur son long séjour en France, où il avait été employé sous tous les régimes, et ensuite sur Bonaparte, qu’il avait servi fidèlement, ainsi que tous les militaires ses compatriotes, et qui en avait agi indignement et impolitiquement avec eux à son retour. — Il a perdu, ajouta-t-il, l’occasion de montrer de la grandeur en nous congédiant honorablement, malgré le décret ab irato qui nous rappelait en Suisse, et d’attacher à ses intérêts tous les officiers de nos régimens. Sa conduite avec eux a été celle d’un homme emporté qui n’écoute que ses passions ; il les a blessés personnellement, et il les a tous contre lui.

Il me parla ensuite de mon mémoire, qu’il avait lu avec beaucoup d’attention. — C’est, me dit-il, un très bon écrit, mais il est trop tard pour qu’il puisse ramener personne. Je ne suis pas d’accord avec vous sur les principes, et je ne suis pas sûr que vous ne vous trompiez pas quelquefois sur les faits ; mais vous pourriez bien avoir raison sur les conséquences et les suites, et il serait dans l’ordre des choses possibles que l’on vit se réaliser vos conjectures : alors on aurait fait un mauvais calcul. Peut-être, en mettant de côté Bonaparte, dont l’Europe ne veut absolument plus, y aurait-il eu moyen de tout arranger. — Mais je dois m’arrêter ici, -et d’après le cours des événemens et le dénoûment qu’ont eu les affaires je ne dois pas pousser plus loin les détails de cette conversation particulière, dans laquelle au reste M. de Castella se montra toujours homme plein de sens, d’expérience, et militaire plein d’honneur.

Le temps s’écoulait. Je regardai ma montre ; il me comprit et me donna ses lettres. — Voici encore, me dit-il sans avoir l’air d’y mettre d’importance, un billet que je vous prierai de remettre, en passant à Jougne, à un bon curé qui y fait pour moi quelques petites affaires. J’ai sur la frontière une terre assez considérable, dont la principale richesse est en troupeaux. La partie de plaine est en Suisse, et la partie de montagne en France ; les troupeaux sont maintenant aux montagnes, et je recommande à mon curé des précautions à prendre quand il s’agira du retour. J’ai cacheté la lettre sans y penser, mais je vous la dis tout entière, et ce ne sont pas là, comme vous voyez, des secrets d’état. Vous me ferez donc le plaisir, en arrivant à Jougne, d’envoyer chercher le curé et de lui remettre ce billet. — Je pris la lettre, fis mes adieux, réitérai des remercîmens bien sincères, et partis.

Quelques minutes après, j’étais en voiture, je sortais encore une fois de Berne, et me voyais déjà sur la route de Paris. Rien ne paraissait plus devoir m’en écarter. Mon impatience d’arriver était cependant