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a par lever la sentinelle qu’il avait placée ; il me salua ensuite très poliment, et tenant son chapeau à la main, il me dit : — Je n’ai pu, monsieur, avoir audience de M. le général en chef, qui était fort occupé ; mais j’ai pris les ordres de M. le major-général de l’armée. Il m’a chargé de vous prévenir qu’il viendra lui-même vous voir à midi, et de vous prier de l’attendre ; vous aurez cette complaisance. J’ai l’honneur de vous souhaiter le bonjour.

— Est-ce que vous repartez tout de suite, monsieur l’officier ?

— Oui, monsieur. — Et une seconde révérence aussi polie que la première fut son dernier adieu.

Voilà certes un changement de scène auquel je ne m’attendais guère. J’avais repris ma position sur le sofa ; je cherchai d’abord à deviner d’où ce changement était venu et ce qu’il pouvait m’annoncer. Je ne me perdis pas longtemps en conjectures, le sommeil vint les interrompre, et je m’endormis profondément. À mon réveil, j’appris que M. le professeur Schnell, informé de mon arrivée, me faisait demander à quelle heure je pourrais le recevoir. Touché de ce nouveau témoignage d’intérêt et d’amitié, j’aurais voulu qu’il vînt tout de suite ; mais je pensai qu’il valait mieux différer jusqu’après mon entrevue avec le major-général, et que je serais alors plus en état de lui dire quelque chose de positif sur mon sort. Je le fis donc prier de me venir voir entre une et deux heures après midi.

Je songeai ensuite à faire un peu de toilette : ne fallait-il pas être en état de recevoir un peu décemment la visite très importante qui m’était annoncée ? Midi était à peine sonné que le keller ouvrit ma porte et annonça M. le major-général, baron de Castella. Il était en redingote bleue boutonnée, en chapeau rond et en bottes, sans aucun signe de son grade, comme un militaire en habit du matin ; sa figure, qui était belle et noble, me parut grave, mais sans mélange de dureté, quoique susceptible de cette expression. J’allai au-devant de lui et le fis asseoir au haut du canapé, sur lequel je m’assis moi-même à quelque distance, du major-général. — Monsieur, me dit-il, ma visite a pu vous surprendre ; en voici l’objet. Je me nomme Castella, je suis né Suisse, mais j’ai passé ma vie en France, et j’y ai toujours servi dans nos régimens avant la révolution et depuis. J’ai surtout vécu à Paris, où j’ai encore aujourd’hui ma femme et mes enfans ; j’ai appris à connaître les hommes dont la conduite et les talens font honneur à leur pays. Je suis ici en ce moment revêtu d’un grade qui me donne de l’influence sur les délibérations de l’état-major de notre armée. Il s’est trouvé que je présidais le conseil quand votre affaire y a été portée. Elle pouvait prendre un fort mauvais tour ; j’ai fait tous mes efforts pour lui en donner un plus favorable, et je me félicite d’y avoir réussi. Quant aux rigueurs déplacées