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encore dans un édit de 1731, qu’on pût parvenir à empêcher l’union des blancs avec négresses et mulâtresses, parce qu’outre que c’est une tache pour les blancs, cela pourrait trop les attacher aux intérêts de leurs alliés. » Par les mêmes motifs, on multiplia les difficultés qui entouraient les affranchissemens.

Ces violences légales survécurent à la philosophie et à la révolution. En 1802, le gouvernement consulaire rétablit d’une main l’esclavage et la traite, de l’autre remit en vigueur les édits qui « excluaient les noirs et hommes de couleur du territoire français pour prévenir le mélange impolitique et scandaleux qui peut en résulter dans le sang français. » Fidèle aux principes du consul, l’empereur maintint de son mieux la division des races, des classes et des couleurs, œuvre rendue facile par un siècle et demi de rigueurs royales et religieuses. C’est ainsi que la politique opposait ses égoïstes calculs à la nature, qui poussait à la fusion par l’instinct sociable des races méridionales. À la longue, la politique triompha et finit par susciter une répulsion dont la violence n’est que trop manifeste aux colonies, et qui se prolonge même en France parmi les créoles blancs, à moins d’un énergique contre-poids de leur raison et de leur cœur. Malgré ces dédains, le blanc n’en reste pas moins envié des mulâtres et admiré des noirs comme un être supérieur[1]. La femme de couleur surtout professe cette sympathie, et par là prépare, en dépit des préjugés, de nouveaux et féconds rapprochemens. Le nombre seul des hommes de couleur ne prouve-t-il pas que la prétendue répugnance des deux races est une fiction ? Il n’y a de vrai que l’éloignement à peu près invincible de la femme blanche pour le noir, conséquence de la loi générale qui porté le sexe féminin à s’élever.

Ce coup d’œil rétrospectif, étranger à toute récrimination et surtout désintéressé, éclaire de quelque lumière la situation présente, pleine de mutuelles défiances entre les blancs et les hommes de couleur. Les lois étant revenues à la justice, la nature reprendra tôt ou tard son influence conciliante. À mesure que les héros et les victimes des luttes civiles descendent dans la tombe, l’amertume des souvenirs s’efface ; les complots et les poursuites, les condamnations et les souffrances des temps agités ne tarderont pas à disparaître. Après la prescription trentenaire de l’oubli, les générations nouvelles s’uniront de nouveau par les liens de l’amitié et de l’amour, surtout si la religion et l’éducation les y préparent dès l’enfance par la présence commune aux églises, aux écoles, aux pensions :

  1. C’est un point que M. le conseiller Lacour a soigneusement éclairai, comme beaucoup d’autres, dans les trois volumes qui ont déjà paru de son Histoire de la Guadeloupe.