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crire à ma femme. Elle m’attend à Paris à jour fixe, et son inquiétude serait horrible, ne me voyant point arriver, si elle ne recevait pas au moins, quelques jours après, de mes nouvelles. Tâchez donc, je vous prie, de faire passer cette lettre, coûte que coûte ; je vous «n aurai la plus grande obligation.

Mme Descloux me promit de faire tout son possible. Un voiturier de sa connaissance partait le lendemain pour la frontière, où elle pensait bien qu’il pourrait faire passer tout ce qu’il voudrait ; je n’avais qu’à écrire ma lettre que je remettrais à sa domestique de confiance, quand elle viendrait me servir à déjeuner. Cette promesse me procura un grand calme d’esprit, et dès mon réveil, le 19, qui était un dimanche, j’écrivis la lettre. Je n’y parlai point de mon arrestation, mais bien de quelques nouveaux obstacles qui tenaient aux circonstances, à la clôture des frontières, aux communications tout à fait interrompues, obstacles qui entraîneraient peut-être un retard d’une huitaine de jours, mais que j’espérais faire lever, ayant tous mes papiers en règle et mon passeport visé dernièrement par le directeur-général de la police des cantons. Ma lettre partit, comme la bonne hôtesse me l’avait promis, elle me l’assura du moins, et je ne vois pas qu’elle eût intérêt à me tromper, car il ne m’en coûta rien ; mais ce fut une lettre perdue, et ni ma femme ni moi n’en avons jamais eu de nouvelles.

Après de jeuner, j’écrivis au colonel Meyer pour lui demander s’il voudrait bien me recevoir dans la matinée et à quelle heure. Il me fit répondre qu’il sortait à l’instant, mais qu’il comptait me venir voir lui-même et qu’il me priait de l’attendre chez moi. L’annonce de sa visite me fit voir que ma lettre à M. de Laharpe avait produit son effet. Quelques petits arrangemens m’occupèrent en l’attendant. La veille au soir, j’avais fait descendre la vache de dessus ma voiture pour y chercher quelques effets : j’y trouvai deux liasses de livres et de brochures, et dans l’une de ces liasses trois paquets sous enveloppe et cachetés. J’en connaissais le contenu. L’un était de M. Fellemberg à M. de Lasteyrie, à qui il envoyait un exemplaire du rapport dû comte de Capo d’Istria sur son établissement d’Hofwil ; l’autre de M. Usteri à M. Grégoire, renfermant ce même rapport, et le troisième du même M. Usteri à M. Say, à qui il faisait passer un diplôme de la Société économique de Berne. Je les avais mis sur ma table, et je cherchais parmi les livres ceux qui pourraient me convenir pour le reste de mon voyage, quand on m’annonça le colonel.

Après les premières politesses, il m’apprit qu’il avait reçu ordre de se porter sur la frontière, et que le colonel Effinguer reprenait le commandement de Neuchâtel. M. Effinguer n’était pas venu encore. Jusqu’à sa venue, tous les paquets venant de Berne seraient remis au maire de la ville, qui me communiquerait aussitôt ce qui aurait