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— Monsieur, cela serait fort inutile ; on en a déjà une copie à Berne, que M. de Watteville a fait tirer.

— Si M. de Watteville en a une, celle-ci ne servirait en effet de rien. Et il mit le mémoire avec les autres papiers, ferma le portefeuille et m’en rendit la clé. — Je vais, comme je vous l’ai dit, reprit-il, faire mon rapport à M. le général en chef. Je l’enverrai cette nuit par une ordonnance. Il faudra que vous attendiez ici la réponse. C’est encore sur votre parole que je vous laisse entièrement libre à votre auberge. Vous voudrez bien seulement ne vous pas écarter, pour qu’on soit sûr de vous trouver à l’instant même où la réponse arrivera. Elle peut venir dès demain ; elle peut aussi se faire attendre plusieurs jours.

Je m’engageai formellement à ne pas sortir de la ville. — J’ai, monsieur le colonel, ajoutai-je, une grâce à vous demander : c’est qu’il me soit permis d’écrire à ma femme, qui m’attend à Paris à jour fixe, et que ce retard inquiétera mortellement. Je voudrais aussi écrire à Zurich à mon ami M. de Laharpe, pour le prévenir de ce qui m’arrive et le prier de tenir prêts pour moi, s’il en est besoin, ses bons offices et l’appui de son amitié.

— La première de ces deux choses, me répondit-il, est impossible. Les communications sont totalement interrompues, et aucune lettre ne peut maintenant ni entrer ni sortir. Pour la seconde, rien de plus simple : écrivez à M. de Laharpe, envoyez-moi votre lettre, mais ouverte, et je la lui ferai passer.

Après l’avoir remercié comme je le devais, je quittai le commandant et le magistrat, qui me rendirent avec beaucoup de politesse le salut que je leur fis à tous les deux.

Il était tard quand je rentrai à la Balance ; la nuit tombait. J’étais las de ma journée. Je me fis faire du thé, le pris, et me couchai. Le lendemain 18, dès qu’il fut jour, ma première pensée fut pour la lettre que je devais écrire à Zurich. Puisqu’il fallait l’envoyer tout ouverte au colonel, je songeai à en profiter pour mettre sous ses yeux quelques détails qui lui parleraient en ma faveur. « Mon respectable et bien cher ami, écrivis-je à M. de Laharpe, je continue le cours de mes épreuves. Les dernières ont été rudes ; je les ai soutenues avec le sang-froid que vous me connaissez et avec le calme d’un homme qui n’a rien à craindre, puisqu’on n’a rien à lui reprocher. » Je racontais en peu de mots ma scène de Berne et mon entretien d’une heure avec M. de Watteville, dont au reste, disais-je, je n’avais eu qu’à me louer, quant à la politesse et aux égards. Les espions, les délateurs et tous nos coquins de Zurich auraient eu un démenti complet sans ce chiffon relatif aux affaires de France que j’avais eu l’imprudence de garder dans mon portefeuille au lieu de le détruire, comme je le devais, n’en ayant plus rien à faire, ou au moins de le cacher,