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— Monsieur le commandant, répondis-je, vous êtes mal instruit ; je n’emporte et je n’ai avec moi rien de pareil.

— C’est ce que nous verrons. Où est votre portefeuille ?

— A l’auberge de la Balance, dans la chambre que je dois occuper. Vous pouvez l’y envoyer prendre.

— La clé y est-elle, ou l’avez-vous ici ?

— Je l’ai ici.

— En ce cas, on peut aller demander de votre part ce portefeuille.

— On le peut, et je vous en prie.

Il donna des ordres en conséquence, puis il me fit asseoir, s’assit lui-même, ainsi que le maire, et se mit à lire mon passeport. — Comment un Français, dit-il après l’avoir lu, dans les circonstances présentes, sort-il de France pour aller visiter des établissemens d’instruction publique ? Il s’agit, ma foi, bien d’instruction publique ! Cela est vraiment pitoyable, visiter des établissemens d’instruction publique ! répéta-t-il en haussant les épaules et du ton d’une ironie amère.

— Monsieur le colonel, lui dis-je, vous n’êtes pas généreux.

— Comment, je ne suis pas généreux !

— Non, sans doute ; vous abusez de votre position et de la mienne pour me parler comme vous le faites, et certainement il n’y a pas à cela de générosité.

— Mais avouez, reprit-il d’un ton plus honnête, que dans l’état où sont les choses un pareil motif ne doit paraître qu’un prétexte, et que cela ne peut tromper personne.

— Cela ne peut tromper en effet, car c’est la vérité. Un Français à Paris il y a deux mois ne croyait point à la guerre, et un homme de lettres français qui a toujours pris un vif intérêt à ce qui regarde l’instruction publique, et qui espère qu’on ne tardera pas à s’en occuper dans son pays, saisit avec empressement l’occasion de faire un voyage agréable, de s’assurer par ses yeux des effets qu’on attribue à des méthodes d’instruction qui ne sont point encore adoptées en France. Il n’y a rien là que de fort naturel.

— Nous allons avoir la preuve que d’autres motifs vous amenaient ici.

— Peut-être ignorez-vous, monsieur le colonel, que mon portefeuille a déjà été visité à Berne par le directeur-général de la police, qui n’y a rien trouvé de pareil à ce que vous cherchez.

— En ce cas, reprit-il en élevant la voix, c’est donc dans votre voiture ou dessus que sont ces papiers, et je ferai fouiller jusque dans les moindres replis.

— C’est ce qu’on a fait aussi à Berne, et l’on n’a rien trouvé.

— Eh bien ! c’est donc sur votre personne qu’ils sont cachés, et je vous déclare que, s’il le faut, j’y ferai fouiller devant moi.