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ferait contre moi aucun usage. On ne tardera pas à voir comment il m’a tenu parole. Je le quittai enfin, tenant à mon tour sous le bras mon portefeuille ; je trouvai devant la porte le commis chargé de visiter ma voiture, et qui se mit en marche avec moi. Je le menai droit à la remise, et quoiqu’il fût près de sept heures du soir et que je fusse à jeun depuis le matin, je restai debout une grosse demi-heure à voir mon homme opérer. La plus longue opération fut la visite de la vache, qu’il fallut descendre, dépaqueter, repaqueter et remettre en place. Je ne trouvai point dans sa manière d’agir cette discrétion qu’on lui avait recommandée ; mais je pris patience. Mon fureteur ne voulut se montrer discret qu’à refaire ce qu’il avait défait si librement ; mais j’y mis bon ordre, et le tins en bride jusqu’à ce qu’il eût remonté et rattaché la vache, avec l’aide d’un garçon d’écurie.

Libre enfin de cette corvée, je me fis servir à dîner dans ma chambre, et j’allai passer le reste de la soirée dans la seule maison que je connusse à Berne, celle de ce bon M. Schnell. On n’y fut pas peu surpris de me revoir, mais j’y reçus toujours le même accueil. Je dis ce que je crus devoir dire des causes de mon retour. L’espionnage zurichois, dont c’était évidemment l’œuvre, et la tyrannie bernoise, qui employait de pareils moyens et qui donnait ce caractère au gouvernement d’un peuple libre, reçurent un juste tribut de bénédictions et d’éloges ! La conversation prit ensuite naturellement son cours vers la position de la France et celle où l’on entraînait la Suisse. Il se trouva que je pensais comme un Suisse et que mes hôtes pensaient comme des Français. Je quittai avec regret cette famille intéressante, et je revins à neuf heures et demie attendre à mon auberge ce que M. de Watteville m’avait promis.

Il tint fort exactement sa promesse. On vint de sa part, un peu avant dix heures, me dire que je pouvais faire les dispositions de mon départ ; on m’apporta en même temps mon passeport français, avec son visa, pour aller par Aarberg et Neuchâtel à Paris. On m’annonça que j’aurais le lendemain matin à six heures mes autres papiers. Je n’avais d’autres dispositions à faire qu’un nouvel arrangement pour mes chevaux. J’ai déjà dit que je les avais pris à Zurich pour aller en deux jours à Neuchâtel. Je n’y arriverais que le troisième, et comme on paie double chaque journée à cause du retour, j’aurais à payer six journées, quoique le retour de Neuchâtel à Zurich ne fût que de deux. Il fallait m’entendre là-dessus avec mon petit postillon rouge. Je le fis venir. On sait dans quel état il s’était mis dès le matin. Il avait bu depuis son arrivée sur nouveaux frais. Les yeux lui sortaient de la tête en m’écoutant. Sa réponse fut courte : « Je ne veux pas aller à Neuchâtel. » Quelque chose que je pusse lui dire, je ne pus tirer de lui un mot de plus. Je pensai qu’é