Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourtant encore que je dise quelque chose d’une promenade que je fis à quelque distance de la ville, où je fus conduit par un valet de place attaché à l’hôtel. À une bonne demi-lieue de Soleure, vers le nord, dans les gorges de l’extrémité du Jura, était un ermitage placé d’une manière tout à fait pittoresque au bord d’un petit torrent ; le long de ce torrent, à partir de l’entrée d’une gorge étroite et profonde, on a pratiqué une route sinueuse qui conduit à la demeure de l’ermite. On passe et repasse plusieurs fois le torrent sur de petits ponts de bois. Enfin on arrive dans un endroit où la gorge s’élargit un peu. On voit quelques traces de culture et d’habitation : en haut, sur la gauche, une chapelle ; en bas, à droite, au pied du roc, une cellule creusée dans le roc même. Avant d’y arriver, à l’endroit où la pierre, taillée à pic, offre un angle aigu et s’enfonce pour former une petite plaine, on rencontrait sous un saule pleureur une urne sépulcrale dont la base portait l’inscription suivante :

FILIOLIS

QUAS MORS
JUNXIT
INTIIA V. DIES,
PARENTES ORBI,
FR. VOITEL HELV.
CENTURIO HISP.
FR. WURTZ, BUDENS

1802.

Ce M. Voitel, militaire suisse au service d’Espagne, avait perdu à Soleure, dans l’espace de cinq jours, deux filles charmantes ; il avait fait déposer leurs restes et élever ce simple monument dans un lieu si souvent visité par les voyageurs, pour multiplier en quelque sorte les témoignages de sa douleur et de celle de sa femme autant de fois que serait lue l’inscription qu’il y avait fait graver.

La cellule de l’ermite était divisée en deux ou trois petites pièces. Il vint nous recevoir à la porte. Son extérieur et ses manières n’annonçaient qu’un homme du commun, un ouvrier, et il l’était en effet. Comme il ne parlait point français, ce fut mon conducteur qui lui transmit quelques questions et qui me traduisit ses réponses. Cet ermitage fut fondé en 1678 par un saint personnage appelé Arsenius ou Arsène, qui était venu d’Égypte ; il y fit beaucoup de miracles, et mourut en odeur de sainteté. Son portrait était en pied dans la chapelle. Il avait un disciple qui occupa l’ermitage après lui ; mais à la mort de ce dernier personne ne se présenta pour lui succéder, ce lieu resta désert pendant quelques années, et la curiosité des voyageurs qui venaient à Soleure avait une jouissance de moins. On prit le parti d’y placer un ouvrier, apparemment peu occupé, à qui un logement et le produit des petites offrandes des curieux firent un état. L’ermite qui me reçut était tailleur, de son métier.