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nom ayant été prononcé, il s’exprima très indulgemment sur moi et sur mon Histoire littéraire d’Italie. M. de Laharpe lui dit que j’allais partir, qu’il aurait voulu me conduire à Bâle, me faire voir la chute du Rhin, l’un des plus beaux spectacles que la Suisse offre aux voyageurs, mais que le temps pressait trop, et que je partirais seul. Le général lui répondit qu’en effet il n’y avait guère de temps à perdre, mais qu’on n’était pas à trois jours près, et qu’il ne fallait pas que j’emportasse ce sujet de regret.

Cette garantie suffisait a l’obligeante amitié : elle arrangea tout sur-le-champ, et nous partîmes le 7 juin, M. et Mme de Laharpe et moi, pour aller par Schaffhouse à Bâle. En passant à Eglisau, nous descendîmes de voiture, et mes yeux se fixèrent pour la première fois sur ce beau fleuve du Rhin. Dès le lendemain matin, nous allâmes à la chute avec un guide, à pied et à travers champs. Le Rheinfall (chute du Rhin) n’était pas encore dans toute sa plénitude et dans toute sa beauté. Le temps était fort couvert, le ciel chargé de brume, et cependant je fus émerveillé de cette grande scène de la nature. Une pluie très forte nous retint quelque temps dans une usine au bord de la cataracte. Nous prîmes ensuite à pied la route de Schaffhouse, ayant fait l’imprudence d’y donner rendez-vous à notre voiture. Les chemins étaient détrempés, gras et détestables : nous arrivâmes dans un état qui nous força tous de changer. En tout, je ne tirai guère d’autre avantage de cette partie de plaisir que de passer trois jours de plus avec de si chers amis. Nous revînmes par Eglisau, et poussâmes notre tournée jusqu’à Stein, où nous couchâmes.

Le matin, ce spectacle d’un phénomène majestueux, mais bruyant, cette pluie qui y avait jeté un voile, un certain vent froid et humide qui m’avait saisi dans l’usine, avaient ouvert en moi la porte aux sentimens tristes. Mon imagination s’élança vers la France, que j’allais revoir ; mais l’idée des terribles préparatifs dressés de toutes parts contre elle accrut encore cette impression de tristesse. Tout le jour s’en ressentit, et je ne fus jamais moins aimable pour des compagnons de voyage qui l’étaient toujours pour moi. Ce nuage mélancolique ne s’éclaircit un peu qu’à Stein.

Nous étions le 9 à Bâle de très bonne heure. Nous commençâmes par nous occuper de nos passeports. M. de Laharpe en avait pris un pour lui à Zurich. Nous allâmes les porter nous-mêmes au bureau de la police. Le chef était absent et ne devait rentrer que dans une heure. Nous fîmes, en attendant, une promenade sur la belle terrasse au bas de laquelle le Rhin se déploie dans sa forme demi-circulaire et dans toute sa majesté. Le temps à peu près écoulé, nous revenions vers le bureau, lorsque nous rencontrâmes le