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prévenir l’horrible guerre dont nous paraissions menacés. Je lui exposerais le véritable état où était la France, qu’on avait sans doute connu fort inexactement à Vienne. Je n’avais pas besoin d’autres instructions ; il n’y avait point à négocier, ni à traiter ; ce n’était pas une mission proprement dite, c’étaient seulement des informations à donner et à recevoir.

Tels furent du moins les derniers termes où l’affaire fut amenée. C’était autre chose au début. Le ministre avait commencé par me dire : « M. de Laharpe est arrivé à Zurich, revenant du congrès de Vienne. Il a écrit ici qu’il avait quelques propositions à nous faire, qu’il fallait lui envoyer pour les recevoir quelqu’un dont on fût bien sûr et qui fût de ses amis. Il vous a désigné, vous en premier, et M. de L…[1] en second, si vous ne vouliez ou ne pouviez pas y aller. Je suis sûr que vous le voudrez ; vous le pourrez aussi, c’est l’affaire d’un mois tout au plus de congé à votre Institut ; mais il faut partir tout de suite, vous voyez que cela est urgent. »

Je lui avouai que j’étais surpris de ce que M. de Laharpe avait écrit, que j’étais sûr qu’il n’était point à Zurich, qu’il était encore à Vienne, et que de la manière dont je savais qu’il écrivait à sa femme, qui était prête à partir pour la Suisse, il n’avait ni propositions ni communications à faire. Le duc se rabattit alors à des expressions moins positives, et à notre seconde entrevue, quand j’eus tiré d’une visite que je fis sur-le-champ à Mme de Laharpe de nouvelles preuves qu’on n’avait pas rendu fidèlement au ministre ce qu’on disait que M. de Laharpe avait écrit, sans revenir sur ce qu’il m’avait dit d’abord, il réduisit sa proposition et sa commission au point que l’on vient de voir.

En effet, Mme de Laharpe, amie de ma femme comme j’étais l’ami de son mari, recevait lettres sur lettres qui l’engageaient à quitter Paris et à se rendre à Zurich, où M. de Laharpe ne tarderait pas à l’aller joindre. La dernière lettre était si pressante que Mme de Laharpe ne pouvait plus différer son départ, mais elle ne voulait pas se mettre seule en route ; emmener ses femmes eût été pour ainsi dire sonner l’alarme et annoncer la guerre, à laquelle on ne croyait point encore à Paris. Elle était dans le plus grand embarras ; cette circonstance contribua beaucoup à me décider, et je saisis avec empressement l’occasion de rendre à elle et à son mari un service d’amitié.

D’ailleurs je désirais depuis longtemps voir la Suisse, et j’en avais une raison de plus : ce qu’on avait écrit en France sur l’institut de Pestalozzi, à Yverdun, et sur les établissemens de Fellemberg, auprè

  1. M. le comte Charles de Lasteyrie, auteur d’intéressans ouvrages sur l’agriculture et l’enseignement primaire. C’est à lui qu’on doit la propagation de la lithographie, introduite en France dès 1802 par Sonefelder.