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encore leurs anciennes idées en pareille matière. Dans ce cas, ces états pourraient considérer la tentative-actuelle du Piémont comme une perturbation de leurs propres intérêts et un empiétement sur leurs propres droits ; mais c’est là une affaire d’opportunité. Les états catholiques de l’Europe, dans leur situation actuelle, semblent disposés à donner carte blanche au Piémont. Le Piémont ne paraît pas plus s’être trompé sur le profit qu’il peut tirer de cette situation que sur l’avantage que lui donne vis-à-vis du pape la supériorité de ses forces. En somme la meilleure raison du Piémont, quoiqu’il ne l’exprime point dans son manifeste, c’est que la suppression du pouvoir temporel du pape est la condition absolue de sa politique unitaire. L’Italie nouvelle, l’Italie réunie, sous un seul sceptre ne peut avoir qu’une capitale : c’est Rome. Le véritable objectif, de l’entreprise actuelle est donc Rome au fond. On commence par les Marches et par l’Ombrie, on ne peut pas aujourd’hui aller se heurter à Rome contre les troupes françaises qui protègent le pape : M. de Cavour déclare même que partout où un soldat français se présentera, l’armée piémontaise a ordre de reculer devant lui ; mais on ne saurait se méprendre sur la durée de cette patience. Pour la rendre éternelle, pour conserver au pape cette possession de Rome et de sa banlieue que lui promettait, il y a huit mois, une célèbre brochure, il faudrait que la France se condamnât à entretenir éternellement à Rome une garnison de douze mille hommes ; or l’occupation éternelle de Rome par une division française n’était point promise dans la brochure.

Mais l’agression des états de l’église a beau violer le droit des gens, contrarier les intérêts ou blesser les affections des états catholiques : au point de vue des nouveaux besoins de l’Italie et des tendances du mouvement unitaire, elle n’en demeure pas moins une nécessité habilement reconnue et hardiment acceptée par le Piémont. Nous ne sommes pas étonnés d’apprendre que, depuis qu’il a pris cette violente résolution, M. de Cavour a retrouvé cette activité, cette audace et cette confiance qu’il a montrées dans d’autres épreuves heureusement surmontées. Ce coup lui rend son ascendant sur l’Italie. Garibaldi sans doute n’est ni supplanté ni effacé ; mais il est contenu, ne fût-ce que jusqu’à l’achèvement de l’entreprise romaine. À moins de déserter l’œuvre même de sa vie, Garibaldi ne peut pas se séparer de M. de Cavour ; il est au contraire obligé de lui communiquer ses desseins et de concerter avec lui ses mesures. Le mouvement italien entraîne toujours d’immenses périls, mais il rentre dans les conditions d’une entreprise régulière ; il est contrôlé et jusqu’à un certain point défendu par les responsabilités du gouvernement qui en prend ouvertement la direction.

Tel qu’il est en effet, et quoiqu’il ait commis, suivant nous, des fautes regrettables, le gouvernement piémontais, aujourd’hui et pour longtemps sans doute, demeure le seul élément d’ordre qui existe en Italie. Or il ne peut conserver l’influence d’ordre qu’il représente qu’à la condition de ne plus s’arrêter dans l’accomplissement du programme de l’unité italienne ;