Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire la même intensité. Sans doute une foule de circonstances spéciales ou passagères altèrent de temps en temps la constance des résultats ; mais ces fluctuations sont légères, et le plus souvent elles révèlent l’intervention de nouvelles causes qui n’agissent pas moins régulièrement que les premières. C’est ainsi que, depuis trente ans, le mouvement des populations prouve avec évidence que, dans toute l’Europe, les mariages deviennent de plus en plus nombreux et que la quantité moyenne des naissances tend à diminuer, sans que pour cela le chiffre de la population décroisse, car la statistique démontre que la mortalité est d’autant moins grande que les familles sont moins nombreuses, l’accroissement de l’humanité, comme l’a prouvé Malthus, étant toujours réglé par la proportion des subsistances.

Quoique tout procède dans la société selon une marche régulière, qui résulte de la constance des effets amenés par les mêmes causes, on ne saurait admettre cependant une permanence absolue, une immuabilité désespérante qui nous enfermerait éternellement dans le même cercle. Les forces qui sollicitent la société sont irrésistibles et nécessaires ; mais nous pouvons en mieux combiner le jeu, en tirer de meilleurs résultats. C’est en cela que le progrès s’accomplit.

Certains esprits se sont fait de fausses idées sur les conséquence, à tirer des études de M. Guerry. Ils ont supposé que le chiffre des, crimes demeure indépendant des moyens préventifs, des institutions sociales ; ils ont été jusqu’à réclamer logiquement la suppression de toute pénalité, tenant pour impuissant tout ce qui prétend combattre une loi fatale et nécessaire. Les hommes entraînés au crime par des motifs qui tiennent à la constitution même de l’humanité ne doivent pas, disent-ils, être regardés comme responsables. Juger ainsi, c’est oublier que le principe de la responsabilité est la base même de la société et le régulateur de nos actes, et que l’expérience journalière nous démontre qu’on corrige les mœurs par l’éducation individuelle et sociale. Les tableaux de M. Guerry ne conduisent nullement à des résultats si opposés au sens commun ; ils démontrent seulement que l’on a prêté à certains moyens une puissance dont ils sont dépourvus, que tant qu’une forme donnée de société subsiste, une proportion déterminée des mêmes crimes, des mêmes délits, se produit constamment. Les travaux du savant statisticien ouvrent une voie de recherches qui peuvent devenir singulièrement fécondes, si elles trouvent les encouragemens et l’appui des gouvernemens, si ceux-ci comprennent l’importance qu’il y aurait à leur donner plus d’ensemble et d’étendue. Que l’on poursuive en divers pays, pendant un demi-siècle et davantage, les études dont je viens d’exposer les premières tentatives, et l’on sera en mesure alors de prononcer sur la valeur de certaines institutions établies dans l’intérêt des mœurs, de constater les maux qui tendent à s’accroître et