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esprit d’enchaînement et d’accord, il faut, pour constater l’intervention de Dieu, découvrir dans l’histoire cette même sagesse, cette même harmonie qui éclatent dans l’univers matériel. On a prononcé plusieurs fois dans ces derniers temps le mot de philosophie de l’histoire : on a bâti des systèmes, essayé de tracer la courbe qui représente la marche de l’humanité ; mais celui-là même qui croit avoir trouvé la formule résumant la suite des événemens passés se garde bien d’en faire usage pour prédire les événemens futurs. On n’a pas assez de confiance dans la méthode et l’on craint de la voir immédiatement prise en défaut, en sorte que la philosophie de l’histoire, qui a servi de thème à tant de théories, nous a enseigné peu de chose sur la marche ultérieure des sociétés. Cette impuissance tient à ce qu’on a prétendu résoudre le problème dans toute sa généralité, alors qu’on ne possédait même pas les élémens propres à éclairer les questions de détail qu’il embrasse. On a oublié que les événemens sont la somme d’une foule d’actes individuels, la résultante d’un nombre prodigieux de volontés qu’il eût fallu préalablement observer dans leurs manifestations périodiques, et dont il était nécessaire de rechercher la loi avant d’ aspirer à découvrir celle de la société tout entière.

Il en est de la vie de l’humanité comme de la météorologie ; elle implique le concours d’une multitude d’actions partielles et de phénomènes spéciaux qu’il faut d’abord étudier avant de prétendre savoir le temps qu’il fera demain. Cette recherche des élémens de l’histoire qu’a négligée la philosophie, impatiente d’arriver à des résultats généraux, la statistique l’a tentée : elle a laborieusement recueilli, classé, compté tous les témoignages de nature à nous faire connaître ce qu’on pourrait appeler les fonctions du corps social ; elle a évalué la fréquence, la rareté relative de certains actes, de certains crimes, de certaines passions, de certains maux ; elle a mis en rapport les chiffres ainsi obtenus les uns avec les autres, afin de découvrir s’il ne se produirait pas des coïncidences régulières où se décèleraient les lois demandées. C’est ainsi que déjà elle est arrivée à noter plusieurs faits constans, à formuler des principes que je voudrais rapidement passer en revue dans cette étude, afin d’apprécier les conséquences qui en découlent.


I

Avant d’entrer dans l’examen des résultats principaux de la statistique civile, morale et médicale, il faut d’abord s’assurer de la légitimité des méthodes dont elle a fait usage. Il y a encore bien des personnes qui professent pour cette science une assez médiocre estime et qui, se défient de ses assertions. On oppose l’incertitude des