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nouvelle d’une paix qui ne comblait pas toutes ses espérances. Il est vrai, on avait dit en entrant : « Tetuan à l’Espagne ! » et on disait en sortant avec les traités : « Tetuan à l’Espagne comme garantie temporaire ! » Matériellement le résultat est peu sensible peut-être. L’Espagne n’a ni territoires nouveaux, ni villes nouvelles, ni domination directe sur des pays conquis. La guerre du Maroc a été néanmoins pour elle la source de plus d’un avantage moral ou politique. L’Espagne a gagné d’abord de se sentir revivre dans une armée sobre, patiente, énergique, au niveau de toutes les épreuves et de tous les périls. Il y a des esprits, je ne l’ignore pas, qui ne voient dans l’héroïsme militaire que ce qu’il y a de dangereux ou d’inutile. Une armée en campagne allant se faire tuer, c’est une déperdition de capital pour l’agriculture, pour l’industrie. Une armée peut être autre chose encore : elle peut offrir en certains momens la mesure de ce qui reste de vigueur intérieure, de virilité et de force d’action à un peuple éprouvé ; elle peut être, en un mot, une nation défendant son rang dans le monde ou renaissant à l’importance politique. C’est ce que l’armée d’Afrique a été pour la nation espagnole.

Un autre avantage que l’Espagne a trouvé dans cette campagne du Maroc, c’est de voir où sont pour sa politique les amitiés, les sympathies naturelles, les affinités d’intérêts. Une fois de plus on a vu que l’Angleterre est souvent un obstacle pour la Péninsule, que la France est toujours une alliée sympathique, car c’est notre fortune de ne nous trouver sur le chemin d’aucun des grands intérêts ou même des légitimes ambitions de l’Espagne, pas plus qu’elle ne se trouve sur le chemin de nos propres intérêts ou de nos ambitions. La France n’a point de Gibraltar à défendre, elle n’a point à voir d’un œil jaloux l’expansion du peuple espagnol en Afrique ; elle est la première intéressée à tout ce qui élève la Péninsule en puissance, en dignité et en liberté. Et c’est ainsi.que cette campagne du Maroc, qui a donné une armée à l’Espagne, lui laisse encore une lumière de plus pour sa politique.


Charles de Mazade.