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Cette dangereuse conquête valait-elle dès lors d’être disputée au prix de nouveaux sacrifices, si l’on pouvait faire, sans s’aventurer plus loin, une paix plus modeste et plus sûre ? — Et puis, … et puis il y avait peut-être une considération qu’on ne disait pas, qui ne manquait pas d’une valeur inavouée : c’était la pensée de rencontrer en avançant une Angleterre ennemie, qui ajouterait à toutes les difficultés d’une entreprise hasardeuse. L’Angleterre, il faut le dire, n’a nullement dissimulé sa malveillante humeur envers l’Espagne durant cette guerre. Avant la campagne, elle lui demandait impérieusement.des garanties ; pendant l’expédition même, elle fournissait au Maroc des armes et des munitions, tout en réclamant à Madrid une vieille dette que le gouvernement espagnol se hâtait de rembourser sans discuter, avec une loyauté fière et silencieuse. L’Espagne sans doute ne s’était pas laissée arrêter par les objurgations venues de Londres quand elle avait commencé son expédition ; en allant plus loin maintenant, ne risquerait-on pas de voir l’Angleterre s’armer des engagemens qu’elle avait obtenus au sujet de Tanger ?

Aller à Tanger pour ne pas y rester, garder Tetuan pour être perpétuellement en guerre avec le Maroc, voilà ce qui s’offrait à l’esprit du général O’Donnell, ce que toute l’armée entrevoyait. Et c’est ainsi qu’O’Donnell, au risque d’infliger à l’opinion publique une déception d’un moment, se décidait à signer une paix qui donnait à l’Espagne une indemnité de guerre de 100 millions, un petit port sur l’Océan, un agrandissement autour-de Ceuta, des avantages et des garanties de commerce, des privilèges pour le culte religieux, mais qui laissait Tetuan au Maroc. C’était là le résumé des préliminaires signés le 25 mars dans une entrevue nouvelle d’O’Donnell et de Muley-Abbas. L’entrevue eut lieu dans la vallée même de Gualdras, où l’on avait combattu la veille. O’Donnell avait annoncé que, si l’acceptation de ses conditions n’était pas arrivée à six heures et demie du matin, il se mettrait immédiatement en marche sur le Fondack. Muley-Abbas arriva, quoiqu’un peu retardé par ses prières, car on était dans le mois du ramadan, il s’était fait précéder par un parlementaire, et quand il arriva lui-même, tout fut bientôt convenu. La guerre était finie, et bientôt l’armée espagnole rentrait fière et glorieuse dans la Péninsule, puis à Madrid.

C’est le général Ros de Olano qui, en faisant ses adieux à ses soldats avant de quitter l’Afrique, disait : « Nous avons fait une guerre nouvelle pour nous, unique, où, à mon jugement, l’on peut perdre une campagne en restant victorieux dans toutes les actions. » C’était là, à tout prendre, l’expression transparente de cette déception de l’opinion tombant tout d’un coup du haut de son rêve à la