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et une majesté merveilleuses de lignes. Sa bouche un peu africaine est dessinée avec énergie. Ses yeux noirs et tristes regardent avec une calme lenteur. On devine le feu qui peut les animer parfois sous cet air pensif avec lequel ils se ferment ou sous cette rigidité qui les tient ouverts… Muley-Abbas était abattu, mais circonspect ; triste, mais digne ; vaincu, mais non dompté ; humilié sans avoir perdu l’estime de soi-même. On voyait qu’il se sentait satisfait de sa conduite, bien que dégoûté des autres et surtout de son sort. Son humilité était de la résignation, sa douceur du patriotisme… » Muley-Abbas était accompagné d’un autre personnage important de l’empire, du ministre des affaires étrangères, Mohamed-el-Jetib, vieillard intelligent et fin, rompu à toutes les subtilités de la diplomatie, et qui passait pour être peu favorable à la paix. Que se passa-t-il dans cette entrevue ? Quelles étaient les conditions imposées par l’Espagne ? Ces conditions découlaient naturellement de la situation ; elles se résumaient dans une indemnité de guerre, une cession de territoire autour de Ceuta, des garanties pour l’avenir et surtout dans l’abandon de Tetuan à l’Espagne. Tout aurait été accepté sans doute, s’il n’y avait eu la cession de Tetuan, la ville sainte. Mohamed-el-Jetib déclara que la paix était impossible à ce prix, et O’Donnell se leva aussitôt pour mettre fin à l’entrevue. Muley-Abbas insistait encore cependant pour prolonger l’entretien, ne voulant pas laisser rompre le fil de la négociation. On sentait qu’il tenait à la paix plus que le ministre qui l’accompagnait. Tout fut inutile. On se sépara pour reprendre les armes et continuer la guerre.

La négociation était rompue, dis-je ; elle avait mis à nu pourtant la vérité de la situation. Il y avait désormais deux courans en quelque sorte, un courant belliqueux et un courant pacifique, se mêlant, se heurtant, se compliquant de pressions d’opinion, d’excitations passionnées. On- cherchait toujours la paix, même dans le combat. Cette lutte singulière de tendances guerrières et pacifiques se laissait voir encore et se résumait bientôt dans un double fait. — Le 11 mars, les Arabes allaient assaillir violemment les camps espagnols en avant de Tetuan, sur la route de Tanger, et pendant six heures les deux corps de Prim et d’Echague avaient à chasser de position en position un ennemi qui arrivait par la vallée du Guad-al-Gelu, par les hauteurs de Samsa, et semblait plus résolu, plus acharne que jamais. C’était un chef d’humeur belliqueuse, arrivé depuis peu de Fez, qui avait pris l’initiative de ce coup audacieux et qui y périt. Le lendemain paraissait un nouveau parlementaire de Muley-Abbas désavouant l’attaque de la veille et offrant de renouer les négociations. On négociait donc, on cherchait encore une fois à s’entendre. La grande, l’invincible difficulté était toujours dans la