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raisins secs de Caslillejos. Cette campagne en un mot avait fait des soldats et une armée, unité vivante sous le drapeau, connaissant sa force, et sentant quel chemin elle pouvait parcourir, encore quand elle tournait son regard en arrière, vers ce sillon de misère et de sang qui l’avait conduite au détour du Cap-Negro.

Enfin Tetuan était là, et l’armée espagnole pouvait se déployer dans cette pittoresque vallée, tout encadrée de montagnes, commençant à la mer par une plage sablonneuse, se terminant par un amphithéâtre de collines où la ville apparaît avec sa haute Alcazaba, ses maisons blanches et. éclatantes au milieu de l’opulente verdure de ses huertas, — à demi perdue dans ses merveilleux jardins de citronniers, de grenadiers et d’amandiers. C’est là en effet le caractère de cet étrange pays, tout à l’heure abrupt et inhospitalier, maintenant gracieux et charmant, sous un ciel d’une transparence lumineuse. Au milieu de la vallée coule le Guad-al-Gelu, qui descend des montagnes, et qui, à travers de sinueux détours, s’en va à la mer. Il est gardé à l’entrée par le Fort-Martin, que quelques coups de canon des vaisseaux suffirent à désarmer. Un peu plus haut sur cette plage s’élève, la Douane, maison carrée, avec une grande cour de style arabe ; puis la plaine se déroule à travers une campagne cultivée, coupée de marécages, et remonte jusqu’à la région des huertas, où Tetuan est assise comme une princesse mauresque, ayant au-dessus de la tête la Sierra-Bermeja, que rejoint la Sierra-Bullones, venant de Ceuta. Au-delà du Guad-al-Gelu, sur la rive droite, s’échelonnent les premiers gradins du Biff, parsemés de douars et pittoresquement tapissés de verdure. Nulle majesté peut-être dans ce paysage de Tetuan, si ce n’est la majesté des montagnes environnantes, mais de la grâce, du mystère et du rêve, surtout le soir, aux rayons de la lune tombant sur la cité sainte des Arabes, et la faisant ressembler à une ville d’argent endormie au milieu des orangers et des fleurs.

L’armée marocaine, se repliant sans cesse à la suite des Espagnols, qu’elle harcelait sur leur flanc jusqu’au Cap-Negro, était allée camper aux abords de Tetuan, à d’inégales hauteurs, en avant de la ville, et plus haut, vers la droite, sous la Tour-Geleli, où s’établissait le quartier-général de Muley-Abbas. Elle s’était mise à l’abri derrière une ligne de redoutes qui faisaient de cette double position une sorte de grand camp retranché. L’armée espagnole, en descendant dans la plaine, allait s’établir sur la plage, au Fort-Martin, à la Douane ; elle se couvrait, elle aussi, de retranchemens qu’elle poussait jusqu’à un petit affluent du Guad-al-Gelu, où elle élevait un ouvrage de défense, le fort de l’Étoile. La pensée du général O’Donnell était de s’asseoir fortement, de s’approvisionner en