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attendait les combats du lendemain. Les camps s’animaient en certains momens et prenaient l’aspect de petites villes jetées par hasard dans un désert. C’était d’ailleurs un spectacle saisissant et étrange que celui du mouvement d’une armée au milieu de cette nature sauvage, mystérieuse et hostile. « Imagine, dit M. Alarcon, un terrain descendant en pentes rapides de la gorge d’Anghera ; figure-toi une mer apaisée et transparente sur laquelle s’étend un ciel dont l’azur fait paraître plus obscures au levant les premières teintes de la nuit, tandis que les derniers rayons du jour l’illuminent au couchant ; suppose des montagnes recouvertes d’une épaisse végétation comme d’un manteau d’ombre, et regarde, échelonnées sur leurs flancs, ces blanches tentes qui ressemblent à un troupeau de moutons ou à un vol de palombes. Ajoute la lueur de quelque feu de bivouac, la fumée qui s’élève à l’horizon, le cordon de soldats descendant pour aller chercher de l’eau et dessinant de leur silhouette les contours d’un coteau. Ajoute encore l’animation et les cris de tous, les cornettes qui appellent à l’ordre, les chevaux qui hennissent courant en liberté, les mules qui gravissent lourdement les pentes abruptes, les coups retentissans du maillet et du battoir, le canon lointain de Ceuta annonçant la prière, les vaisseaux du port répondant au signal, l’heure, le site, l’éloignement de la patrie, tant et de si extraordinaires sensations, et tu comprendras l’impression profonde que laisse un spectacle si nouveau, si original et si imprévu ! » Au demeurant, l’impression n’était pas toujours aussi poétique.

Un sentiment d’impatience finissait par naître de cette situation prolongée où l’année espagnole se trouvait retenue, ayant devant elle les crêtes qui lui dérobaient Tetuan, derrière elle Ceuta, à droite la sierra aux pics échelonnés et superbes, à gauche la mer quelquefois tranquille et clémente, plus souvent fouettée par les vents furieux. L’heure était venue de sortir d’une défensive opiniâtre, mais stérile, d’autant plus que la route militaire était finie jusqu’à Castillejos. Ce fut Prim qui eut la mission de marcher en avant, prenant la tête d’un mouvement général ; il devait être suivi du deuxième corps, conduit par le général Zabala, puis du troisième corps, de Ros de Olano, qui passait à l’arrière-garde. C’était l’armée entière qui levait ses camps. On touchait à la fin de décembre, la première heure de l’année 1860 devait sonner comme une fanfare. Cette offensive entrait dans les calculs du général O’Donnell ; elle était aussi dans l’instinct et dans les allures de celui qui devait marcher le premier et qui n’attendait qu’un ordre pour s’élancer. D’autres chefs de l’armée espagnole ont montré dans cette campagne du coup d’œil, de l’habileté militaire, ou une mâle vigueur au combat,