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aux sommets qui font face au défilé de l’Anghera, assurant en un mot contre tout retour offensif des positions conquises sans coup férir. Ainsi défendue et protégée par une ligne de positions avancées habilement choisies et vigoureusement maintenues, toujours éclairée sur les mouvemens de l’ennemi par la tour d’El-Hacho, l’armée tout entière pouvait se former, s’organiser à mesure qu’elle débarquait, et être prête à tout. Le deuxième corps, celui de Zabala, et la réserve de Prim pouvaient aller se ranger avec O’Donnell lui-même au-dessous du Serrallo. Les bivouacs espagnols couvraient les coteaux, tandis que sur les hauteurs opposées, dans quelque pli de terrain, on voyait poindre les tentes arabes. On était camp contre camp.

Où allait maintenant cette expédition engagée en plein monde africain ? Une marche directe sur Tanger était impossible, peut-être par des raisons politiques autant que par des raisons militaires. Tetuan restait dès lors pour le moment l’unique point d’attaque ; il n’y avait à choisir que la direction de la marche. Le chemin le plus court eût été, à ce qu’il semble par la gorge de l’Anghera et par les massifs de la Sierra-Bullones, où se trouvent, dit-on, des sentiers plutôt que des routes conduisant à la fois vers Tanger, vers Tetuan et vers le Fondack ; mais il fallait s’engager dans l’inconnu, dans des régions périlleuses, où l’on risquait d’être enveloppé à chaque pas, de mourir obscurément sous le feu. des Arabes embusqués dans leurs rochers ; il fallait, si l’on me passe ce terme, aller se jeter dans les griffes du lion. Les tribus marocaines, assemblées pour la guerre sainte, attendaient là l’armée espagnole. Le général O’Donnell choisit une autre voie, qui, en offrant, elle aussi, de redoutables obstacles à vaincre, avait l’avantage de le tenir rapproché de la mer. Il se décida à marcher sur Tetuan en longeant la Méditerranée. Par là, je l’ai dit, la côte se compose de pentes déclinantes, de contre-forts coupés par intervalles de gorges profondes, et qui, en s’évasant, forment des espèces de golfes terrestres, plusieurs vallées, dont la première est celle de Castillejos et la dernière la vallée de Tetuan. Entre les deux, le plus dangereux passage est le Cap-Negro. Sur cette côte, où il n’y a souvent qu’une plage étroite, on trouve de temps à autre quelques tours blanches où des sentinelles arabes sont placées pour donner l’alarme. La tour du Cap-Negro est surtout d’un aspect sauvage et pittoresque sur son abrupt rocher, au pied duquel vient se briser une mer ordinairement irritée. L’objectif était ainsi indiqué, la direction était trouvée ; il y avait seulement à marcher, et pour marcher il y avait à s’ouvrir un chemin à travers une région tourmentée et déserte, encombrée de bois d’oliviers, de chênes verts et de buissons épais.