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de la Syrie, loin d’être une cause de force pour Méhémet-Ali, n’a été pour lui qu’une cause d’affaiblissement. Il s’était agrandi comme font chez nous tant de propriétaires de campagne qui empruntent de l’argent à 5 et 6 pour 100 d’intérêt afin d’acheter des terres qui leur rapportent 2 ou 2 1/2 pour 100 de leur capital. Ils finissent naturellement par se ruiner, et c’est ce qui serait arrivé des deux pays d’Égypte et de Syrie, si la politique n’était pas venue dissoudre une union nuisible à tous les deux. Cette époque a été pour eux marquée par d’horribles souffrances. La Syrie, impatiente, frémissante, accablée sous l’impôt, se ruinait par les efforts qu’elle faisait pour secouer le joug aussi bien que par ceux qui se faisaient en sens inverse pour le maintenir. Et l’Égypte, et sa misérable population de fellahs, qui semblent exactement dénués de toute autre vertu ou de tout autre genre d’énergie que d’être prêts à subir tous les excès de la tyrannie sans que la race y disparaisse, à quelles épreuves n’ont-ils pas été soumis, lorsque, sous l’impitoyable étreinte de Méhémet-Ali, il leur fallait suer le sang et l’argent nécessaires à la conservation de sa conquête ! Qui songerait sans remords à faire revivre pour cette race infortunée les malheurs d’une époque qui a rempli toute la vallée du Nil de douleurs, de larmes et de misères ? Le pauvre fellah d’aujourd’hui n’est sans doute pas plus riche qu’en 1840 : à défaut d’autres raisons, son indolence naturelle rend le fait très probable ; mais il a cependant gagné quelque chose. Si le fisc est toujours aussi exigeant, au moins il le laisse dans son village ; on ne lui enlève plus avec autant de rigueur que par le passé son père, ses frères et ses fils ; on ne l’enlève plus lui-même pour en faire un instrument passif d’oppression contre des races plus vaillantes qui le repoussent et qui le méprisent.

N’est-il donc aucun moyen de rendre un peu de calme à la triste Syrie ? Est-elle destinée à l’anarchie éternelle de ses tribus ou à la tyrannie de conquérans tout aussi barbares que ses tribus elles-mêmes ? Ne saurions-nous rien faire pour cette terre qui nous a donné le salut et la foi ? Deux cent cinquante millions de chrétiens qui doivent lui être attachés par- tant de pieux souvenirs seront-ils donc incapables de s’entendre entre eux pour purger la terre sainte de tous les fléaux qui la désolent ? Croient-ils avoir assez fait, parce qu’ils n’ont pas mis opposition au départ de six mille Français chargés d’aller faire tomber les armes des mains des barbares ? Ici se pose un nouvel ordre de questions, qui réclame une étude spéciale. Il ne s’agit plus de la Syrie seulement, mais de la part de plus en plus grande que l’Europe est entraînée à se faire dans les destinées de l’Orient.


XAVIER RAYMOND.