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met-Ali était un vainqueur glorieux, né lui-même de la race des Osmanlis. Il y a autre chose dont on ne tient pas compte : c’est que quand Méhémet-Ali força le sultan à lui abandonner le gouvernement de la Syrie, il avait à ses ordres une armée régulière de 100,000 hommes, un trésor passablement garni et une riche province pour lui fournir à la fois des hommes et de l’argent. Toutes ces conditions, qui sont indispensables cependant, font défaut à Abd-el-Kader, et ce n’est ni l’investiture du sultan Abdul-Medjid, ni un protocole signé par les grandes puissances, qui lui en tiendraient lieu. Pour rendre possible son gouvernement, l’Europe aurait donc à s’occuper du soin de lui procurer des hommes et de l’argent. De l’argent ! où le trouver, si ce n’est sur la garantie des puissances ? Des soldats ! où les prendre, à moins que l’Europe ne les lui fournisse ? ce qui reviendrait dans le fond à une occupation européenne. Irait-on recruter pour lui un corps de 30 ou 40,000 Algériens qu’il entretiendrait comme il pourrait, et que la turbulente Syrie supporterait Dieu sait comment ? Il fallait 50 ou 60,000 hommes à Méhémet-Ali pour la contenir. Tout cela fait, nous ne serions guère plus avancés qu’au début même de l’entreprise : Abd-el-Kader serait revêtu des dignités que nous lui aurions fait donner, il serait l’homme que nous connaissons et qui vient de s’acquérir des titres impérissables aux sympathies de l’Europe ; mais un personnel de gouvernement, mais une administration tant soit peu respectable, où et comment s’en procurerait-il les premiers élémens ?

On ne ferait sans doute pas une chose plus sage en confiant le gouvernement de la Syrie à la race de Méhémet-Ali. Je sais que la France trouverait dans cet arrangement une satisfaction rétrospective, une espèce de réparation pour son amour-propre si vivement blessé en 1840. Ce serait là cependant à peu près tout le bénéfice qu’on tirerait de cette solution. Lorsque Ibrahim-Pacha conquit la Syrie sur l’armée turque en 1832, le pays le recevait alors à bras ouverts, parce qu’on le prenait pour un libérateur ; mais l’illusion dura peu, et le règne de Méhémet-Ali, malgré la puissance des moyens de répression dont il disposait, n’a pas en définitive été plus calme ni plus tranquille qu’un autre. Ç’a été pour la Syrie une époque de malheurs et de tyrannie qui est restée maudite dans la mémoire des peuples. L’administration égyptienne n’a laissé chez eux que d’affreux souvenirs, et son retour serait très probablement la cause de soulèvemens que l’armée égyptienne d’aujourd’hui ne serait pas non plus capable de contenir. Il faudrait des années pour la remettre sur le pied où elle était sous Méhémet-Ali, et en définitive il faut avoir toujours présent à l’esprit que cette armée, sur laquelle on était parvenu à inspirer tant d’illusions à l’Europe et à la France, suffisait à peine à sa tâche. J’ajouterai aussi que la possession