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Or, si le jeune Owen Fitzgerald était, dans les rêves de la comtesse, l’époux à qui elle eût sacrifié volontiers son rang élevé, ses privilèges sociaux, son isolement majestueux, il n’était nullement le mari qu’elle souhaitait à sa fille. Lady Clara Desmond devait, comme la comtesse l’avait fait naguère, imposer silence à son cœur, et chercher, à défaut d’un époux égal à elle par la naissance, celui qui pouvait le mieux par sa richesse redorer le blason de famille. C’était bien assez de la déchéance provisoire où languissait depuis quelques années l’antique race des Desmond ; il ne fallait pas qu’une de leurs filles descendit définitivement aux degrés inférieurs de la hiérarchie sociale. Owen Fitzgerald, avec ses 5 ou 600 livres de revenu, son humble manoir, sa popularité familière, ne remplissait à aucun point de vue les conditions de ce programme ambitieux. Pour lui d’ailleurs moins que pour tout autre, la comtesse devait, on le devine aisément, se départir de ses exigences maternelles.

Pourtant Owen avait parlé. Lady Clara n’avait pu se refuser à l’entendre ; même une promesse timide était tombée de ses lèvres, quand la comtesse, avertie enfin, dut intervenir. Deux motifs, presque aussi puissans l’un que l’autre, concouraient à la rendre inflexible. D’une part, Owen lui était plus cher qu’elle ne voulait se l’avouer ; de l’autre, un riche parti s’offrait pour sa fille. Herbert Fitzgerald, le fils de sir Thomas, l’héritier présumé de Castle-Richmond, venait de se mettre sur les rangs. Le cousin riche et le cousin pauvre étaient en présence, et la comtesse, qui, en toute occurrence, eût préféré le premier comme gendre, avait de plus à punir le second de n’avoir pas pressenti qu’elle l’aurait accepté, elle, pour époux.

Ce ne fut ni sans diplomatie, ni sans y user son autorité maternelle tout entière, qu’elle parvint à dominer chez sa fille les instincts du cœur, la voix si puissante du premier amour, et encore n’y aurait-elle pas réussi sans les désordres de tout genre auxquels Owen demanda l’oubli de son affection qu’il croyait trahie, de ses droits qu’il voyait méconnus. Il fallut cette cause décisive pour que lady Clara se laissât lier par une promesse solennelle, et renvoyât à Owen, sans en ouvrir une, toutes les lettres qui eussent pu expliquer sa déplorable conduite. Elle n’entendait parler que de ses folles dissipations, des orgies grossières qu’il présidait, des hôtes suspects dont il remplissait le manoir où elle avait si longtemps rêvé qu’ils vivraient tous les deux. À la longue, et non sans un effort immense, elle arracha de son cœur ce premier amour, désavoué par sa mère ; à la longue, par un autre effort, elle se donna d’âme et de volonté au nouveau fiancé qu’on lui présentait, et qui, après tout, était digne de son dévouement.

Justement alors, une singulière catastrophe vint bouleverser de fond en comble la situation ainsi dessinée. La santé de sir Thomas