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filets qu’elles tendent à droite et à gauche. Pour bien peu, las de son isolement, George tomberait dans ce piège grossier. Sa pauvreté le sauve. La belle mistress Cox, qui, en faisant les doux yeux au jeune Bertram croyait harponner un riche héritier, ne reçoit pas sans frémir et sans se raviser les confidences qu’il croit devoir lui faire sur les dispositions présumées du vieux merchant. Une contremarche habile la débarrasse de prétentions qu’elle ne veut plus autoriser, et du même coup ramène à ses pieds le beau major Biffin, qu’elle avait éconduit en l’honneur de George. Arthur Wilkinson, moins audacieux, moins entreprenant, et doué d’une conscience plus scrupuleuse, a poussé les choses moins vivement. Il peut donc honorablement battre en retraite, et c’est ce que font en riant nos deux amis dès que les deux belles dames ont donné la mesure exacte de leur désintéressement et de leur sincérité. Le jeune vicar n’a pas tout à fait perdu son temps à courir le monde. Il mesure maintenant sa situation d’un regard plus ferme, et, stimulé d’ailleurs par les conseils de son ami, rentre dans sa manse avec le projet bien arrêté d’y restaurer l’autorité masculine, trop compromise en vérité par ses concessions filiales : Il ne reviendra pas sur le partage convenu et réglé des revenus curiaux ; mais dans le presbytère, sur lequel il a d’incontestables droits, il saura installer, coûte que coûte, la fidèle fiancée qui a si longtemps souffert de ses timides irrésolutions. Ce n’est pas sans une lutte acharnée que mistress Wilkinson se laisse arracher le sceptre, et l’appel désespéré qu’elle porte aux pieds de lord Stapledean, la scène où, ne comprenant rien à ses plaintes, ce patron impatienté la met cavalièrement à la porte, n’est pas un des épisodes les moins gais, les moins vrais, de ce tableau de mœurs si fidèlement, si rigoureusement exact.

Depuis que sa femme n’est plus auprès de lui, l’astre de Harcourt a semblé pâlir. Comme tant d’autres aventuriers politiques, il a perdu, pour avoir trop voulu ménager sa position personnelle, la confiance du parti qui l’avait porté au pouvoir : sa démission lui est demandée par une administration nouvelle, et il est au moins douteux que les électeurs whigs renvoient au parlement un représentant dont l’intégrité politique semble aussi mal garantie. Le barreau lui reste, il est vrai ; mais, comme toutes les carrières indépendantes, le barreau ne peut offrir que des profits éventuels. Plus que jamais par conséquent exposé à des réclamations pécuniaires dont l’avait préservé jusque-là l’éclat de sa position officielle, l’ancien solicitor general aspire à la succession du vieux merchant.

Le moment est décisif. Les jours du vieux Bertram sont maintenant comptés ; il descend lentement les degrés de la tombe, toujours cynique, toujours dur et moqueur, se riant des espérances que sa mort peut faire naître, et qu’il est décidé à tromper, Cependant