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M. Drake a hérité en partie de la réputation dont avait joui Rauch, et partage l’autorité avec deux élèves de celui-ci, MM. Schievelbein et Blaëser, auxquels on doit les groupes qui décorent le pont du château royal de, Berlin et les bas-reliefs du pont de Dirschau, près de Dantzig. Quels que soient d’ailleurs les mérites qui recommandent les œuvres des artistes que nous venons de nommer, ces œuvres ont en général un caractère expressément national et historique. L’image fidèle de tel personnage, la représentation de tel fait intéressant la gloire de l’Allemagne, tels sont le plus souvent l’objet et la signification des tâches accomplies de nos jours de l’autre côté du Rhin. Il n’y a rien là qui relève, à proprement parler, de l’idéal, rien qui accuse des préoccupations très vives de l’antique et du beau, et l’on peut dire, sans vanité patriotique, que c’est presque uniquement en France que l’on essaie encore d’attribuer à la statuaire un rôle conforme aux principes les plus élevés et au sens le plus général de l’art.

Notre école de sculpture vit donc toujours et continue de faire ses preuves ; mais, il faut bien l’avouer, elle vit dans une atmosphère où la foule ne pénètre pas. Les gages qu’elle donne de talent et de constance, nous les laissons passer le plus souvent sans y attacher un autre prix qu’à ces travaux de pure érudition, à ces dissertations archéologiques ou philologiques dont il appartient à quelques rares initiés d’apprécier l’à-propos ou de discuter la valeur. Rien de plus naturel. Par le temps qui court de dévotion à la photographie et d’appétits fort contraires à l’idéal en toutes choses, qu’avons-nous à faire d’un art qui s’obstine à nous prêcher le mépris de ce que nous aimons et le culte de ce que nous ne savons plus aimer ? A quoi bon ces efforts de science pour galvaniser une langue morte, ou tout au moins pour ajouter quelques jours de vie à une doctrine condamnée, à des traditions expirantes ? Aux yeux de la plupart d’entre nous, la sculpture, avec ses allures solennelles et sa signification austère, n’est plus dans nos mœurs. On peut la tolérer encore à titre de souvenir du passé, on peut de temps à autre s’intéresser à ces témoignages posthumes, à ces formes anciennes d’expression, de même que, par un reste de déférence ou d’habitude, on applaudit parfois une pièce de théâtre écrite en vers ; mais, en matière d’art comme ailleurs, nous avons surtout le goût de la prose, et la sculpture n’étant rien moins que propre à nous satisfaire sur ce point, nous en abandonnons les produits à ceux qui, par curiosité d’esprit ou par état, se soucient encore du style poétique.

Il serait assez oiseux au reste, de plus il ne serait point juste d’accuser seulement en ceci les erreurs ou les défaillances de l’opinion. Que nous en soyons venus à considérer la sculpture à peu