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rien ne se laisse pressentir d’une arrière-pensée de mauvais aloi, les habitudes de son ciseau sont, il est vrai, des moins austères. Sous la main de Pradier, la beauté antique s’enjolive du charme un peu grêle, des détails de physionomie un peu subtils qui caractérisent la beauté moderne. Il n’en est pas moins vrai qu’un vif souvenir de la Grèce vit encore dans ces images, conformes en apparence aux goûts de notre temps et de notre pays, et que, sous ces dehors de facilité, sous cette science sans façon, on devine un talent plus studieux qu’il ne veut se montrer et nourri en meilleur lieu qu’on ne l’aurait cru d’abord.

Moins adroit peut-être que Pradier au point de vue de la pratique, mais plus sérieux dans ses tendances et plus énergiquement inspiré, David d’Angers a fait preuve, surtout au commencement de sa carrière, d’une originalité véritable, d’une vigueur de sentiment presque magistrale. David avait d’un maître la sûreté du coup d’œil, l’aptitude à envisager la forme sous son aspect caractéristique, a discerner dans chaque type l’élément essentiel de beauté ou de force qu’il importe de dégager. Tant que cette vivacité d’impression en face de la nature fut réglée et contenue dans de justes limites par l’étude ou le souvenir des exemples de l’antiquité, les statues nues ou drapées, les médaillons et les bustes sortis de l’atelier de David honorèrent hautement l’artiste qui définissait ainsi, en même temps que sa propre valeur, les aspirations, les desseins, le programme de la nouvelle école. Par malheur, un moment vint où le frein si utilement imposé d’abord se relâcha pour céder bientôt tout à fait. À force de prétendre insister sur les vérités d’exception et d’accident, David perdit presque le sentiment et la notion des vérités générales. À force de vouloir mettre en relief tel fait particulier, telle curiosité de physionomie ou d’habillement, il oublia jusqu’aux plus simples conditions de la beauté, de la vraisemblance même, jusqu’aux lois de la structure humaine et des proportions anatomiques. De là ces étranges portraits d’hommes voués aux travaux de l’esprit, où le développement du crâne dégénère en difformité monstrueuse, ces statues érigées sur les places publiques de Nancy, du Havre, de Dunkerque et de plusieurs autres villes, où, sous prétexte de sincérité, les bizarreries, du costume moderne s’exagèrent aussi bien que l’irrégularité, des traits ou les imperfections corporelles des héros. On aurait toutefois une très fausse idée de la manière de David, si l’on en jugeait seulement sur ces témoignages excessifs. Bien que, au milieu de ses plus graves erreurs, le vigoureux talent de l’artiste se manifeste encore, bien que, dans le fronton du Panthéon par exemple, la figure allégorique placée au centre de la composition console, par la simplicité de l’aspect et la fermeté dû style, le regard qu’ont déconcerté pour le moins les groupes avoisinans, —